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particulière, qu’il emploie enfin son autorité à instituer une nouvelle espèce d’église où toutes les opinions pourront se prêcher aux frais du public et où elles travailleront toutes à propager la discorde, jamais le monde, ce me semble, n’avait vu rien de pareil.

D’autre part, en dehors de la Suisse, ce sont les croyances dissidentes qui s’allient au parti séculier et aux adversaires des religions pour demander la séparation absolue de l’église et de l’état. M. Gladstone s’est montré peu favorable au projet de loi qui avait pour but de réprimer les cérémonies illégales ; ses sympathies, dit-on, sont pour les sacerdotalistes, et c’est pour cela même, ajoute-t-on, qu’il incline à la suppression de l’église établie. Que M. Gladstone ait réellement cette intention ou qu’il ne l’ait pas, en tout cas beaucoup d’autres demandent la séparation absolue dans l’espoir qu’elle profiterait surtout à leur théologie, et ce ne sont pas eux peut-être qui raisonnent le moins juste. Ce qui me paraît étrange, c’est que le parti séculier, celui qui redoute les prétentions de l’ultramontanisme, s’imagine l’arrêter en lui jetant la bride sur le cou et en lui disant d’aller enseigner à huis-clos tout ce qui lui plaira. Agir ainsi, ne serait-ce pas simplement débarrasser l’ultramontanisme de toute concurrence, comme de toute surveillance, et lui livrer les multitudes en pleine propriété ? Nous avons déjà fait une expérience dont le résultat devrait nous rendre défians.

L’enseignement secondaire a été déclaré libre, et en fait il n’y a guère que les jésuites qui en aient tiré bénéfice. Ils fondent partout des collèges ; ils trouvent sans peine des fonds pour rivaliser, à prix réduits, avec les écoles subventionnées par l’état, et dans les mêmes provinces où leur nom était, il y a trente ans, un terme de reproche on ne peut plus franchir pour ainsi dire le seuil d’une maison sans apprendre de la dame du lieu que ses enfans sont chez les bons pères. — Cela est triste à avouer pour un Français ; mais, sous un rapport, c’est M. de Bismarck qui a le mieux vu. Malgré ses fautes, malgré l’imprudence de ses moyens, qui pourraient fort bien tourner contre ses projets, il a senti au moins que les croyances se propageaient par l’éducation religieuse, et que c’était là qu’il fallait viser. Sans l’imiter, ne pouvons-nous donc pas trouver un moyen terme entre le régime qui est en force chez nous et un autre régime qui abandonnerait au hasard l’éducation des caractères ? La question est trop épineuse pour que je l’aborde en courant. Je veux seulement la recommander aux méditations des esprits qui peuvent se dégager de leurs propres préférences, et tenir compte à la fois de plusieurs nécessités.


J. MILSAND.