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que le blé touzelle à barbes ou saissette d’Agde, primitivement intervenu dans les fécondations inconscientes de Fabre et dans les fécondations préméditées de M. Groenland et de M. Godron[1]. Ainsi donc jusqu’à présent, par une singulière anomalie, le blé œgilops de Fabre est le seul hybride connu dont la descendance, à peu près fixée dans ses traits et constante dans sa fertilité, puisse avec quelque raison être considérée comme une race hybride et presque comme l’équivalent d’une espèce.

On conçoit que cette dernière conclusion ne soit pas du goût de M. Jordan. Non-seulement ce botaniste l’a contestée, ce qui était parfaitement son droit, mais il a voulu, contre toute évidence, jeter des doutes, bien plus, opposer des négations peu fondées aux faits, aux expériences qui doivent fournir en tout cas une base à la discussion théorique de cet important sujet. Dès 1853, M. Jordan prit vivement à partie Esprit Fabre, en prétendant que l’œgilops triticoïdes ne naît pas du même épi que l’œgilops ovata. Or sur ce point de fait nous pûmes, grâce aux échantillons de Fabre conservés à la faculté des sciences de Montpellier, confirmer la parfaite exactitude de l’observation contestée. Avec une hauteur dédaigneuse qu’on regrette de trouver trop souvent dans sa polémique, M. Jordan prétendit aussi que les graines d’œgilops, semées par Fabre et qui formaient le point de départ des blés œgilops, étaient non pas celles de l’œgilops triticoïdes, mais bien celles de quelque froment exotique égaré on ne sait comment près d’Agde et que Fabre aurait semé par mégarde en croyant semer de l’œgilops. Là encore l’évidence vint donner raison au jardinier dédaigné contre le savant dédaigneux. En 1857, un botaniste éminent, feu J. Gay, reçut du docteur Théveneau un échantillon d’œgilops triticoïdes récolté près d’Agde et put en extraire une seule graine fertile, laquelle, confiée à M. Groenland, reproduisit exactement les phénomènes observés par Fabre, savoir la naissance du blé œgilops à fertilité croissante jusqu’à la troisième génération. Plus tard, ces résultats furent confirmés par les expériences de fécondation croisée de M. Godron, aboutissant toutes à la production de l’œgilops blé fertile. Eh bien ! malgré tant de démentis donnés à ses assertions, M. Jordan persiste

  1. Pour le détail de ces expériences, voyez Groenland, Bulletin de la Société botanique de France, t. VIII, 1861, et Godron, Histoire des Ægilops hybrides, Nancy 1870. Parmi les publications les plus importantes sur cette question, nous citerons : Des Ægilops du midi de la France et de leur transformation, par M. Esprit Fabre, avec une introduction par Félix Dunal ; Montpellier 1852. — Godron, De l’Ægilops triticoïdes et de ses différentes formes, Nancy 1856. — Jordan, Mémoire sur l’Ægilops triticoïdes et sur les questions d’hybridité et de variabilité spécifique, etc., Paris 1856. — Id., Nouveau mémoire sur la question relative aux Ægilops triticoïdes et speltœ-forms, 1857.