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— J’ai deux enfans, et mon fils n’a pas envie d’être d’église.

— N’allez pas le contrarier, le pauvre garçon !

— Ma fille Antoinette est bien jeune ; mais, puisque que vous avez de l’inclination pour elle…

— Mieux que cela : je l’aime.

— Eh bien donc, elle est bonne à marier ; je vous la donne.

— Un moment ! Il faut d’abord savoir si je lui plais.

— Vous lui plairez. La revue des habitans de la vallée est facile à passer. Vous êtes bien fait, riche, franc comme l’or, vous avez vingt-huit ans, qui diable voulez-vous qu’on vous préfère ? Voilà qui est dit : touchez là, mon gendre.

Un mois après, le comte Jean de Louvignac épousait Mlle Antoinette de La Fênaie. Les deux époux firent un voyage en Italie, puis ils revinrent dans leur château. Avant l’année révolue, la comtesse donna le jour à un garçon qu’on appela George. Si la vie est un bien, jamais enfant ne vint au monde sous de meilleurs auspices. Il y eut des réjouissances à Breuilmont pour les relevailles de la comtesse et pour le baptême de son fils, à La Fênaie pour le premier anniversaire du mariage. Les invités donnèrent des retours de noces et des retours de chasse, après quoi la vallée rentra dans le calme, Jean de Louvignac adorait sa femme, et lui témoignait à tout propos son admiration. Rien n’était si beau, si parfait, si aimable qu’elle. Au milieu de la conversation, il ouvrait une parenthèse pour se récrier sur l’esprit, le bon sens, la raison d’Antoinette. Actif et remuant par tempérament, le comte s’absentait souvent, mais jamais, ne fût-ce que pour une heure, sans prendre congé de sa femme. Il ne lui reprochait que de n’avoir point assez de caprices et de ne pas fournir à son mari assez d’occasions de lui complaire. De son côté, Antoinette répondait à ces effusions passionnées par une tendresse douce et enjouée. Plus ingénieuse que lui dans l’art de plaire et de charmer, elle feignait d’avoir du goût pour tout ce qu’il aimait. Un voisin faisait bâtir, et le comte semblait avoir envie de l’imiter. Aussitôt Antoinette témoigna le désir de posséder une serre chaude. M. de Louvignac, transporté d’aise, appela son architecte et dirigea les travaux avec ardeur. Il alla jusqu’à Toulouse pour se procurer des plantes rares, et se mit à étudier l’horticulture. Sa femme sut le faire passer ainsi d’une occupation à une autre, en sorte que l’ennui et l’oisiveté n’entrèrent point à Breuilmont. Enfin les deux époux goûtaient tout le bonheur que peuvent donner le parfait accord, la bonne humeur et l’amour partagé.

Pendant ce temps-là, George grandissait. Son excellente constitution triompha aisément des petites maladies de l’enfance. Il était adroit à tous les exercices, montait à cheval dès l’âge de huit ans et