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de mener seul une armée russe, sans avoir auprès de lui quelqu’un de ces officiers. Dans les momens de danger, il perd la tête et se soumet passivement à ceux qui le conduisent. Le danger passé, il recommence à se vanter et à s’attribuer à lui seul toute la gloire.

« Voilà des héros ! voilà ceux qui mènent le monde, et c’est à eux que reviennent l’éloge et le profit ! Je vous ai fait un portrait fidèle de ce charlatan et de ce maniaque. »


Tandis que lord Minto s’efforçait d’obtenir du gouvernement autrichien une alliance plus franche avec le gouvernement anglais, un incident survint qui était de nature à hâter cette conclusion. On venait de saisir la correspondance échangée entre le général Bonaparte, alors en Égypte, et le directoire. Les vues du gouvernement français et de son plus illustre capitaine s’y trouvaient exposées d’une manière qui était bien faite pour ôter toute espérance de paix aux puissances étrangères. Lord Minto se hâta de profiter de la vive irritation du baron de Thugut pour lui faire signer aussitôt un nouveau traité par lequel l’Autriche et l’Angleterre s’engageaient à réunir leurs efforts contre l’ennemi commun.

C’est sous l’empire de son ressentiment que le baron de Thugut fit alors à lord Minto la confidence d’un fait que nous croyons complètement ignoré, et qui devient plus étrange encore, rapproché d’un autre fait analogue, qu’on trouve dans les mémoires du cardinal Consalvi. Voici la teneur de la dépêche de lord Minto reproduisant les paroles du baron de Thugut :


« Lorsque les préliminaires de Leoben durent être échangés, un duplicata en fut délivré par le ministre d’Autriche au général Bonaparte, qui en remit de son côté la contre-partie. Quand on lut celle-ci, on s’aperçut qu’il y avait été fait des variantes et des changemens très essentiels. Cette circonstance extraordinaire provoqua de vives réclamations de la part des Autrichiens. Son dessein ayant échoué, le général Bonaparte produisit une troisième copie conforme et régulière, qui fut conséquemment acceptée. Quelque malhonnête, impudente et par là incroyable que puisse paraître cette fraude, le baron Thugut m’a affirmé que le fait était parfaitement exact et qu’il en possédait la preuve. »


En 1801, lorsque M. Pitt sortit du ministère à propos de l’émancipation des catholiques d’Irlande, lord Minto, qui avait déjà demandé ses lettres de rappel, insista pour quitter un poste où ses efforts étaient devenus inutiles par l’ascendant qu’avait pris la France en Europe. La société de Vienne, où il s’était fait de nombreux amis, témoigna beaucoup de regrets en le voyant partir. Revenu dans son pays après deux ans d’absence, il retrouvait l’Angleterre