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Tout mon bien-être, toutes mes jouissances, tout mon bonheur, sont concentrés dans mon intérieur, près de vous et de mes enfans. D’un autre côté, l’intérêt de ceux qui dépendent de moi, ce que je puis faire pour assurer leur avenir au-delà de ma courte existence se trouve également engagé dans cette décision, et le bonheur suprême de voir par mes yeux ce qu’aura valu ce sacrifice n’est pas improbable. C’est même, j’ose le dire, presque une douce certitude. C’est donc une question si difficile à décider, que je voudrais qu’elle fût résolue par un autre que moi ; mais j’ai peine à vous imposer cette tâche. J’ajoute cependant que mon esprit sera entièrement fixé par votre jugement ou votre désir ; si, après avoir pesé toutes ces considérations, vous exprimez la moindre répugnance à me voir accepter ces fonctions, votre opinion sera décisive. »


Dans une lettre écrite le jour suivant, discutant encore le pour et le contre, il ajoutait ;


« Cette position me laisserait espérer que je puis être l’instrument de votre fortune. Je ne compte pour rien ce qu’elle offre d’honorable et de brillant, car vous me connaissez assez pour savoir que cette sorte d’ambition n’a plus rien qui puisse plaire à mon imagination, et que bien au contraire tout ce qui appartient à une situation élevée ne me cause que fatigue et souci. D’ailleurs j’espère que vous êtes fermement convaincue que nulle ambition personnelle ne pèse un grain dans la balance, mise en regard de mon amour pour vous, de ma tendresse pour mes enfans et du délicieux espoir que je nourrissais de pouvoir désormais jouir de votre compagnie et de la leur plus complètement que cela ne m’est arrivé depuis tant d’années, et enfin que vous comprenez la douleur que j’éprouverais de cette séparation bien plus grande, quant à la distance et à la durée, que toutes les séparations précédentes. »


Quelques jours après, ayant accepté enfin ces fonctions importantes, et assisté avant son départ au mariage de son fils aîné, lord Minto écrivait encore : « Je ne céderai pas aux douloureux sentimens que j’éprouve, mais j’irai en avant aussi bravement et aussi virilement que je le pourrai. »

Au moment où lord Minto quittait l’Angleterre, Fox venait de mourir ; le cabinet qu’il avait formé se trouvait naturellement dissous ; tous les intérêts pour lesquels lord Minto et ses amis politiques avaient combattu pendant tant d’années semblaient réduits à néant. Ce fut donc avec des préoccupations bien naturelles qu’il lui fallut s’éloigner de son pays et de sa famille. Cependant il se sentait attiré par le besoin d’action vers ces régions immenses dont le nom seul évoque tout un monde d’images presque fantastiques de richesses et de merveilles inconnues. Nous n’avons pas occasion de le suivre