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femme. Cette fantaisie d’un mourant ne fera pas grand tort à mon héritage ; je te prie de la respecter.

— Je la respecterai, répondit George.

— Encore un mot, reprit le moribond ; n’ayant d’autre héritier que toi, je n’ai pas écrit de testament, cependant je voulais laisser douze mille francs au docteur Vibrac.

— Il les aura, mon père. Je les lui donnerai.

— Fort bien. Tu sais où mon corps doit être déposé ; à présent je puis m’en aller. Je ne te souhaite pas de finir comme moi, consumé par les regrets et l’ennui. Mieux vaut mourir dans ses souliers, non comme un brigand corse, mais comme un bon soldat. Sois homme d’honneur, et va avec Dieu.

Le moribond n’essaya plus de reprendre la parole, et au bout d’une heure il s’éteignit.

George, qui connaissait seul les dernières volontés de son père, résolut de les exécuter religieusement, sans témoin, de peur d’éveiller la cupidité de quelque subalterne. Quand les formalités d’usage furent remplies, il ouvrit le coffret et en tira le précieux diamant. C’était le premier objet qui lui eût fait connaître dans son enfance le plaisir de l’admiration. Il le regarda longtemps et le porta respectueusement à ses lèvres. Il prit ensuite la vieille cravate bleue, qu’il mit au cou du défunt, en attacha les deux bouts croisés sur la poitrine avec l’épingle, et dissimula le tout dans les plis du linceul. Sa vénération pour son père, la gravité des circonstances et la perte douloureuse qu’il venait de faire ne laissèrent point de place dans son esprit à d’autres regrets. Le diamant du cardinal Du Bellay fut enfoui et scellé dans la tombe avec le comte Jean de Louvignac, sans que personne en sût rien, hormis son fils.

Les habitans de la vallée, grands et petits, assistèrent au convoi funéraire. Au retour de la cérémonie, George annonça au docteur Vibrac qu’il avait à lui remettre une somme de douze mille francs.

— Qu’est cela ? demanda le docteur. Pourquoi me veux-tu payer vingt fois mes honoraires ?

— Parce que mon père me l’a ordonné en mourant.

— Si c’est un legs, à la bonne heure. Il faut savoir pourtant en quel état le feu comte a laissé ses affaires. Je les crois un peu dérangées depuis la mort de sa femme. Son hôtel de Paris, qui lui a coûté cher, n’est pas même loué. Les gérans, se sentant la bride sur le cou, auront fait leur main. Commence par rétablir l’ordre dans ta fortune, et nous verrons après.

— Quel que soit l’état de la succession, vous aurez vos douze mille francs.

— Ne te fâche point, mon ami ; je les accepterai.