Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/498

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la cause de la révolution et vendu aux intérêts de la cour. Les circonstances révélées par Malouet sont relatives à l’année 1789 et montrent nettement quel était au début de la lutte le programme politique du grand orateur. M. Thiers affirme dans son Histoire de la révolution que Malouet, ami de Necker et lié avec Mirabeau, avait voulu les mettre tous deux en communication, que Mirabeau s’y était refusé, qu’il finit cependant par y consentir, et que Malouet l’introduisit chez le ministre. Or voici la vérité : Malouet n’était pas lié avec Mirabeau, il ne l’estimait point, le regardait comme un homme dangereux, et se tenait éloigné de lui en toute occasion. À ce moment-là même, c’est-à-dire dès les premières semaines de la réunion des états-généraux, Mirabeau avait distingué Malouet dans la foule, sans que Malouet s’en doutât le moins du monde. Un jour, vers la fin du mois de mai 1789, deux Genevois, MM. Duroveray et Dumont, arrivent chez Malouet, qu’ils avaient connu en Suisse, et lui demandent une entrevue pour Mirabeau, leur ami. Mirabeau, disaient-ils, avait à lui parler de choses importantes. L’entrevue aurait lieu soit chez Mirabeau, soit chez Malouet, selon les convenances de ce dernier ; mais c’est Malouet lui-même qu’il faut entendre ici.

« Je leur répondis assez gauchement que j’aurais de la répugnance à recevoir M. de Mirabeau chez moi ou à aller le chercher chez lui, mais que je me rendrais volontiers chez eux le soir même, ce qui fut accepté, et ils assistèrent à la conférence. Voici ce qui s’y passa : — Monsieur, me dit M. de Mirabeau, je viens à vous sur votre réputation, et vos opinions, qui se rapprochent plus des miennes que vous ne pensez, déterminent ma démarche. Vous êtes, je le sais, un des amis sages de la liberté, et moi aussi ; vous êtes effrayé des orages qui s’amoncellent, je ne le suis pas moins. Il y a parmi nous plus d’une tête ardente, plus d’un homme dangereux. Dans les deux premiers ordres, dans l’aristocratie, tout ce qui a de l’esprit n’a pas le sens commun, et parmi les sots j’en connais plusieurs capables de mettre le feu aux poudres. Il s’agit donc de savoir si la monarchie et le monarque survivront à la tempête qui se prépare, ou si les fautes faites et celles qu’on ne manquera pas de faire encore nous engloutiront tous. — Il s’arrêta là comme pour me laisser le temps de dire quelque chose. L’impression que me fit cette déclaration est difficile à peindre. Je n’y retrouvais point l’homme que j’avais entendu, ni celui qu’on m’avait signalé, ni celui dont je connaissais l’histoire ; mais je n’avais pas le droit de lui demander compte de sa conduite ? ses talens m’étaient connus. Soit qu’il fût ou non de bonne foi dans l’ouverture qu’il me faisait, je n’eus garde de la repousser, et je lui dis : — Monsieur, j’ai une telle opinion de vos lumières que je ne balance pas à croire ce que vous me dites, et je suis très impatient d’entendre ce que vous allez y ajouter. — Ce