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qu’il voyait plus nettement que personne, son irritation, fùt-elle plus juste encore, ne saurait l’absoudre. Malouet n’aperçoit qu’une chose dans la contradiction de ses principes et de sa conduite : une éclipse du sens moral.

Un fait qui ressort des confidences de Malouet, c’est le rôle que la peur a joué dans la révolution : d’abord, la peur d’un peuple affolé qui, après les premières heures d’enthousiasme, croit sans cesse à un retour irrité de l’ancien régime, voit partout des complots, des essais de revanche, des projets de Saint-Barthélémy ; ensuite, sous le coup des férocités populaires, la peur des libéraux honnêtes qui n’osent plus soutenir leurs propres principes, qui se cachent, se taisent, ou se laissent entraîner dans le camp des hommes qu’ils devaient combattre. Malouet n’a jamais cédé un instant à ces inspirations de la peur ; c’est là le trait distinctif de cette loyale figure. Il y a eu dans la mêlée des lutteurs plus véhémens, il n’y en a pas eu de plus courageux. Persuadé que la monarchie transformée est le salut, il défend l’institution monarchique contre des adversaires de tout bord. Comme le guerrier du psaume biblique, il a mille ennemis à sa droite et dix mille à sa gauche. Suspect aux partisans de l’ancien régime, injurié par les défenseurs de la révolution, on le voit toujours sur la brèche. Au mois de janvier 1790, il fonde le club des impartiaux, espérant rallier de toutes parts la majorité en déroute, et former un grand parti libéral aussi éloigné du fanatisme royaliste que du fanatisme jacobin. La tentative échoue. Il veut au moins créer un centre autour duquel se grouperont tous ceux qui croient encore à la nécessité de la magistrature royale. La Société monarchique se constitue. La première séance est dénoncée par des journaux furieux, la seconde est dissoute par la populace, et, quand Malouet demande protection à l’assemblée, Barnave le voue à de nouvelles violences démagogiques. Rien ne l’ébranle, rien ne peut le faire dévier de sa ligne ; si l’on veut avoir le spectacle d’une âme véritablement maîtresse d’elle-même, il faut lire son règlement du club des impartiaux, et surtout la noble lettre qu’il adresse à ses commettans, après le double échec de sa conciliation libérale et de sa résistance monarchique. C’est là qu’il écrit ces fortes paroles, applicables aux radicaux de tous les temps : « on ne retourne pas un royaume tel que celui-ci comme le royaume de Salente. »

La sagesse même de ses principes l’isolait de plus en plus dans l’assemblée. La plupart de ses amis, « maudits par les aristocrates et lapidés par la populace, » comme il le dit énergiquement, s’étaient dispersés peu à peu. Il restait seul sur la dernière brèche de la dernière muraille. Puisqu’au lieu de réformer la monarchie les constituans la démantelaient pièce à pièce, il voulait du moins qu’en toute