Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/504

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous propose chez un de vos amis, M. de Montmorin, pour demain au soir à dix heures ? » Malouet répondit au crayon : « Je m’y trouverai. »

Avant de se rendre à cette conférence, Malouet voulut en parler à M. de Montmorin, qu’il ne voyait plus que de loin en loin et sans aucune intimité. Il apprit là que cette conférence proposée par Mirabeau avait été conseillée par M. de Montmorin lui-même ; bien plus, le roi souhaitait vivement qu’elle eût lieu. Par un singulier renversement des rôles, Malouet, qui désirait tant au mois de mai 1789 une alliance raisonnée de Mirabeau et du ministère, n’y avait plus aucune confiance en février 1791. C’est lui qui faisait les objections : n’était-il pas trop tard ? Les offres de Mirabeau étaient-elles encore désintéressées comme elles l’étaient au mois de mai 1789 ? Ne devinerait-on pas quelque chose de ce bon de 2 millions signé d’avance par le roi et payable à Mirabeau après l’exécution de son plan ? Quel pouvait être auprès de l’assemblée le crédit d’un orateur suspect d’opinions vénales ? Montmorin avait réponse à tout. Le moyen qui lui réussit le mieux pour vaincre les répugnances de Malouet fut de lui communiquer le plan de Mirabeau. En voici les principaux articles : dissoudre l’assemblée, sur la demande exprimée par les départemens ; faire élire des députés parmi les hommes les plus sages de la capitale et des provinces ; recommencer la constitution ; diviser l’assemblée en deux chambres ; donner au souverain le droit d’ajourner et de dissoudre les états, ainsi que le droit de veto absolu ; abolir les privilèges ; détruire les clubs ; remettre les départemens, les municipalités, les gardes nationales, sous l’autorité immédiate du roi exerçant souverainement le pouvoir exécutif ; partager entre le gouvernement et l’assemblée le droit de proposer des lois ; décréter la responsabilité des ministres.

Ce mémoire plut beaucoup à Malouet ; il se défiait seulement des moyens d’exécution. Ce qui eût été si facile en mai 1789, ce qui eût satisfait la France entière avant la désorganisation générale, pouvait-il réussir sur un sol bouleversé ? Il exprima ces doutes dans la conférence du lendemain. Assurément, disait-il, c’était bien là ce qu’il fallait tenter ; mais la démoralisation d’un grand peuple armé, l’indiscipline des troupes, l’influence de la plus vile canaille dans ces sociétés populaires qui pullulaient partout, la division de l’assemblée, l’entêtement des uns, la timidité d’un grand nombre, la corruption de plusieurs, tout cela lui inspirait de l’effroi. Dissoudre l’assemblée par la force, quel péril ! Espérer que l’assemblée, avant d’avoir terminé son œuvre, consentirait à se dissoudre elle-même, quelle illusion ! De quelque côté qu’on se tournât, on ne voyait que des obstacles. « Eh ! répondit Mirabeau, il n’est plus temps de calculer les difficultés. Si vous en trouvez à ce que je propose,