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Quelques semaines plus tard, Mirabeau expirait (2 avril 1791). Avec lui s’écroulaient tous les plans qui auraient encore pu sauver la monarchie. C’est alors que Malouet, obstiné jusqu’au bout à la défense de sa cause, conçut le projet de demander secours à l’abbé Raynal. Mirabeau était le seul homme de l’assemblée qui fût en mesure de faire hésiter ses collègues au moment du vote définitif de la constitution ; lui mort, il n’y avait plus qu’à invoquer en dehors de l’assemblée le patriarche de la philosophie. Puisque les constituans s’étaient surtout inspirés des doctrines du Contrat social, peut-être un avertissement donné par un continuateur de Jean-Jacques était-il de nature à frapper les esprits sincères. Ce fut l’avis de Malouet. Il se souvenait des confidences que l’abbé Raynal lui avait faites à l’intendance de Toulon ; n’était-ce pas un devoir pour l’auteur de l’Histoire philosophique des deux Indes de proclamer enfin devant la France entière ce qu’il avait confié à son ami ? Raynal était tout prêt à remplir ce devoir ; l’idée d’écrire à l’assemblée, de lui signaler les vices de la constitution, de confesser publiquement ses anciennes erreurs et de faire cette confession en vue du salut de l’état, lui paraissait un grand acte de patriotisme. Il déclarait toutefois qu’il n’écrirait cette lettre qu’à Paris ; s’il l’écrivait de Marseille, il serait infailliblement la victime des jacobins, plus féroces dans le midi que partout ailleurs. Il y avait là un obstacle. Raynal, en 1781, après la publication de son livre, avait été décrété de prise de corps par le parlement de Paris, il ne pouvait donc rentrer dans le ressort du parlement sans une décision de la puissance souveraine. Malouet fit une motion à ce sujet ; il pria l’assemblée de demander au roi, par l’organe de son président, l’annulation du décret rendu contre le philosophe. On devine l’étonnement de la gauche et de la droite : Malouet protecteur de Raynal ! Malouet invoquant en faveur de Raynal la liberté des opinions politiques et religieuses consacrée par la constitution ! Malouet développa sa proposition avec une grande habileté, s’appliquant à ne pas trop déplaire aux royalistes et à ne pas trop plaire aux jacobins. La motion fut votée à la presque unanimité, « succès qui m’arriva rarement, » dit Malouet. Le succès fut même plus grand qu’il ne l’aurait voulu ; l’assemblée, qui avait commis de bien autres usurpations de pouvoir en des matières plus graves, ne tint nul compte des convenances hiérarchiques recommandées par l’orateur ; elle cassa elle-même l’arrêt du parlement et ne renvoya l’affaire au roi que pour assurer l’exécution de son vote.

Voilà donc l’abbé Raynal à Paris, préparant son adresse à l’assemblée en compagnie de Malouet et de M. de Clermont-Tonnerre, les seuls députés qui fussent dans le secret. L’adresse est rédigée, signée, imprimée ; Malouet et l’abbé vont présenter le manuscrit au