Et ensuite qu’adviendra-t-il ? C’est la question inévitable. Assurément il vaudrait mieux qu’une telle question n’obsédât point notre esprit ; il faut pourtant s’accoutumer en politique à s’occuper surtout des choses présentes. À chaque jour suffit sa peine. Le vieil Horace de Corneille dit admirablement :
Faites votre devoir et laissez faire aux dieux.
Sans renoncer à l’action pour le terme désigné, on peut laisser
quelque chose au temps, à la réflexion, ces auxiliaires de la Providence. C’est beaucoup pour un grand peuple que de remplir exactement sa tâche quotidienne. L’avenir, a-t-on dit, appartiendra au
parti le plus sage ; vienne enfin cette belle émulation, la France
entière en profitera, car il en sortira nécessairement des élémens
de concorde. Et si l’union est décidément impossible, n’y aura-t-il
pas un arbitre suprême entre les prétendans ? Les pouvoirs institués
par la loi prochaine sauront aviser aux moyens de consulter la
France. On peut s’y prendre de telle ou telle façon ; quel que soit
le procédé, il y aura une issue. Malouet, si dévoué à la monarchie
légitime libéralement transformée, était parfaitement décidé dans
l’intérêt public à reconnaître tout moyen de salut. C’est le dernier
conseil que je lui emprunte. En 1797, un jour que son ami Mallet
Du Pan, pris d’un accès de désespoir, ne voyait plus de refuge que
dans l’ancien régime, Malouet lui écrivait : « Qu’entendez-vous par
la fidélité que nous devons au roi légitime ? Certes, s’il pouvait donner asile et subsistance à tous les royalistes, et qu’il ne fallût, pour
obtenir une concession dans son territoire, que lui donner de bons
conseils, je me ferais inscrire ; mais comme il ne peut rien pour moi,
ni moi pour lui, tout anti-républicain que je suis, je subirais comme
le pape et l’empereur le joug de la nécessité, si je trouvais au sein
de la république protection et sûreté. » Ce langage est le bon sens
même ; il y manque seulement quelque chose pour qu’il soit tout à
fait applicable à la France de nos jours. Malouet, j’en suis sûr,
compléterait aujourd’hui ses paroles et ajouterait sans hésiter : le
pays acceptera tout gouvernement assez fort pour maintenir l’ordre
et assez libéral pour justifier sa force. Une chose certaine dès à
présent, c’est qu’il n’appartiendra ni à l’ancien régime ni au radicalisme. En dehors de ces deux termes, il y a place pour des institutions tutélaires sous des formes très diverses. La France a souvent
étonné le monde par l’imprévu des solutions ; on peut bien, sans
vaine superstition patriotique, compter encore sur son génie et répéter avec le poète : fata viam invenient.
SAINT-RENE TAILLANDIER.