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les combine harmoniquement avec les conditions d’espace et de temps qui les dominent. C’est une belle chose que la métaphysique, mais cette fois j’ai bien peur que nous ne devions revenir au point de vue des bonnes gens qui consiste à admirer les combinaisons ingénieuses de l’intelligence humaine et à plus forte raison les puissances infinies de l’intelligence divine.

Au surplus nous aurions pu nous épargner cette discussion subtile. Après tant de pages consacrées à nous convaincre que l’inconscient n’a pas besoin de savoir ce qu’il fait pour faire d’admirables choses, on arrive à une page inattendue où M. von Hartmann avoue que son inconscient favori est une désignation très défectueuse de la force mystérieuse à laquelle il faut que tout remonte. Notre inconscient, s’écrie-t-il, n’est pas aveugle, il est clairvoyant, et, à vrai dire, il vaudrait mieux l’appeler sur-conscient (überbewusstes). La conscience, au sens humain, manque au Tout-Un comme les vésicules vénéneuses manquent au boa constrictor, qui, vu sa force énorme, n’en a pas besoin ; mais, au lieu de cette conscience dont l’homme est bien trop fier, — car elle lui coûte beaucoup plus qu’elle ne lui rapporte, — notre Tout-Un possède die unbewusst-überbewusste reflexionslos-intuitive Intelligenz, c’est-à-dire l’intelligence inconsciente-surconsciente irréfléchie-intuitive… Décidément voilà des définitions qui sentent leur germanisme d’une lieue, et c’est peut-être la faute de notre frivolité gauloise, mais nous renonçons à comprendre.

Qu’on ne se méprenne pas sur nos intentions. Il serait déplacé de répondre par des railleries à des raisonnemens sérieux. Nous ne pouvons nous défendre d’une certaine estime pour l’homme qui, après tous les naufrages dont les épaves jonchent les bords du grand océan philosophique, se sent encore le courage d’élaborer un système de métaphysique. Il est si certain d’avance que, quel que soit son mérite, ce système échouera finalement comme tous ceux qui l’ont précédé ! Et quand, arrivé sur les confins de l’indéfinissable et de l’innommable, cet homme hésite, balbutie, ne sait plus exprimer ce qu’il pense ou ce qu’il conjecture que par des mots qui s’entre-choquent, nous laisserons à d’autres le plaisir douteux de lui jeter la pierre. Si nous relevons ce qu’il y a de comique dans les contradictions où vient s’ensabler à son tour la philosophie de l’inconscient, c’est qu’elle affecte des allures si altières, tant de satisfaction d’elle-même, qu’on est en droit de la rappeler à un peu plus de modestie. Sur plus d’un point de détail, nous ne faisons aucune difficulté de reconnaître la justesse des critiques adressées par M. von Hartmann à la philosophie vulgaire. Nous sommes avec lui persuadés d’une chose, c’est que, quand il s’agit de Dieu, toutes