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venait de ma mère ; en bonne justice, n’était-ce pas à moi qu’il appartenait, et un autre pouvait-il en disposer ?

Mais George se rappela que sa mère s’était bien volontairement dessaisie du diamant. Il se rappela les derniers momens de son père, la promesse solennelle faite à un mourant, et il fut obligé de convenir avec lui-même qu’il était destitué de tous ses droits sur l’objet de sa convoitise. D’autres sophismes lui revinrent bientôt à l’esprit. Il ne demandait pas à rentrer en possession de cette précieuse relique de famille, ni à l’ajouter à sa collection. Ce qu’il regrettait seulement, c’était de ne l’avoir point regardée avec ses yeux de connaisseur. Ne pouvait-il donc sans crime la revoir une fois, la tenir avec respect dans ses mains, la considérer un moment et la remettre ensuite à sa place ? Cette curiosité serait-elle donc si coupable ? La main pieuse d’un fils ne pouvait-elle se poser sur les restes d’un père qu’elle avait enseveli elle-même ? Et que devient la dépouille mortelle de l’homme après dix ans d’intervalle ? Quelques ossemens épars dans un peu de poussière. « La cendre glorieuse d’Alexandre le Grand, dit Hamlet, sert peut-être aujourd’hui à boucher le trou d’une futaille. » Que sera-t-il advenu dans mille ans de cette tombe, de ce village et de ce cimetière ? Le diamant seul n’aura rien perdu de sa beauté. Peut-être le soc d’une charrue le fera sortir de terre sous les pieds d’un laboureur. Ne vaudrait-il pas mieux l’en tirer tout de suite ? Malgré tous les raisonnemens du monde, George voyait se dresser devant lui les grands mots de sacrilège et de profanation. Si encourageans que fussent le scepticisme d’Hamlet et les doctrines hardies des philosophes matérialistes, il se sentait faiblir à l’idée de plonger sa main dans un cercueil ; ce qui ne l’empêcha pas de s’informer exactement, par la lecture et par ses conversations avec le docteur, du degré de décomposition où se trouve le corps humain dix ans après l’inhumation, lorsque ce corps est enfermé dans un caveau et non en pleine terre.

Un matin, George se rendit au cimetière. Il se reprochait de n’avoir pas encore visité la tombe de ses parens. À l’extérieur, le monument lui parut en parfait état ; mais, quand il eut ouvert la porte et pénétré à l’intérieur, il fut effrayé des ravages du temps. Quelques vitraux de la toiture brisés par la grêle étaient tombés. La pluie avait ruisselé sur les murs. Une mousse épaisse couvrait les planches de l’autel rongé par l’humidité. Le prie-Dieu souillé par l’eau et la poussière était inabordable. À droite et à gauche de l’autel, les deux pierres sépulcrales qui marquaient les entrées des caveaux étaient sur le point de tomber en avant, et le salpêtre rendait les deux inscriptions illisibles. Quant aux dorures des arceaux