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Assurément on ne possède des restes que d’une bien faible partie des insectes enfouis dans les gypses de la Provence, on en connaît assez néanmoins pour apprécier le caractère général de ce petit monde. En présence d’une collection des insectes fossiles d’Aix, un entomologiste célèbre de l’Angleterre, Curtis, se montrait frappé de voir tant dominer les formes européennes les plus communes et de retrouver les types génériques qui existent encore. Les espèces étudiées sont à présent plus nombreuses, et l’observation du naturaliste anglais n’a pas cessé d’être exacte. Pictet, l’éminent zoologiste de Genève, ne put s’empêcher de constater que l’histoire paléontologique des insectes ne fournit guère d’argumens en faveur de l’idée d’un développement graduel des êtres.

Selon toute vraisemblance, la suite des recherches apprendra que beaucoup de ces frêles créatures vivantes à notre époque ne se distinguent par aucun trait des individus des âges géologiques. Dans l’ensemble, du reste, les flores et les faunes de la période tertiaire ne sont-elles pas singulièrement instructives ? Elles diffèrent moins de celles des temps modernes que la flore et la faune actuelles de l’Europe ne diffèrent de celles d’une région de l’Afrique ou de l’Asie, Il y a, comme aujourd’hui, sur une étendue même restreinte, des végétaux d’une infinité de groupes ; comme à présent, il y a des mammifères, des oiseaux, des poissons, des insectes, des araignées, des vers, des mollusques. Des types se sont éteints, surtout, semble-t-il, parmi les grands animaux ; mais la plupart subsistent, sinon dans les mêmes lieux, du moins dans d’autres parties du globe.

Une végétation de l’époque la plus reculée de la période tertiaire est exhumée aux environs de Sézanne[1]. M. de Saporta y remarque à la fois des espèces analogues aux plantes tropicales des temps modernes et des peupliers, des bouleaux, des aulnes, des ormes, des viornes, des cornouillers, des lierres, qui se distinguent à peine des nôtres par la grande dimension des feuilles. En vérité, si la forêt éocène de Sézanne pouvait un instant renaître toute verdoyante, le botaniste ne serait pas autrement impressionné qu’il ne l’est en comparant le paysage du nord de l’Europe à ceux de l’Europe méridionale et de l’Afrique. Sur le sol de l’Islande, au Groenland, au Spitzberg, sur les bords du fleuve Mackensie, des fouilles amènent la découverte de nombreuses empreintes végétales qui datent de la période tertiaire. Des arbres magnifiques ont couvert autrefois des terres où maintenant la végétation est misérable ; une douce température régnait donc alors dans les régions polaires. Un pareil état de l’atmosphère en ces contrées cause sans doute une profonde

  1. Le dépôt est à la base des terrains éocènes, au voisinage de la craie.