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gonflé d’énergie et de ressources, la question eût été tout autre soit pour la paix, soit pour la guerre. On n’aurait point été absolument désarmé dans une négociation ; pour reprendre les hostilités, si l’orgueil du vainqueur n’eût point laissé d’autre alternative, on aurait eu, au lieu d’un pouvoir de révolution, un gouvernement légal, national, conduisant au combat toutes les forces disponibles de la France, des forces qui n’avaient encore souffert ni du feu, ni d’un hiver terrible, ni des fausses directions : c’est le rêve de ce qui aurait pu être à une heure plus propice. Au moment où l’assemblée se réunissait et donnait une sorte de blanc-seing à M. Thiers, tout avait singulièrement changé. Paris était rendu et ne comptait plus que comme un grand otage de l’ennemi ou comme un mystérieux foyer d’agitation. La province avait inutilement prodigué ses armées, dont l’une venait d’être rejetée à travers les neiges du Jura jusqu’en Suisse. Les ressources s’épuisaient au point que M. Gambetta, en vrai dictateur, pour avoir les 10 millions par jour qui lui étaient nécessaires, menaçait de violenter la banque de France, d’exhumer la planche aux assignats. L’armistice avait produit une détente profonde dans un pays surmené, ruiné, fatigué de déroutes, de déceptions, de fanfaronnades révolutionnaires, d’excitations impuissantes et de confusion. On avait beau s’agiter à Bordeaux, parler encore de « guerre à outrance, » la réalité douloureuse éclatait à travers tout, l’impression générale était au doute, au découragement, et c’est dans ces conditions de force majeure, de trouble universel, qu’il y avait à se décider sans perdre un instant, car les heures étaient comptées. L’armistice expirait le 19 février à midi, au moment même où l’assemblée à peine constituée en était encore à former un gouvernement : on avait dû négocier une prolongation de cinq jours, qui semblait bien insuffisante. Entre le 19 et le 24 février, il s’agissait de tout peser, de mettre en balance les inévitables rançons de la paix et les chances ou les impossibilités d’une lutte nouvelle, d’évaluer toute une situation diplomatique, militaire, et de prendre un parti. C’était le rôle dévolu à celui de tous les Français qui pouvait se dire le plus innocent de la guerre, et personne alors, que je sache, n’avait l’idée de disputer à M. Thiers le fardeau, le cruel honneur des suprêmes responsabilités qu’il allait affronter pour tous.

Ce n’était plus le moment des illusions. Sur quoi pouvait compter la France dans les résolutions qu’elle avait à prendre ? Est-ce dans une action de la diplomatie qu’elle pouvait trouver une force ou une dernière garantie ? C’était clair comme le jour, il n’y avait plus rien à espérer désormais, ni une alliance, ni un appui, ni même une médiation. Depuis six mois, l’Europe n’avait d’autre