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redevable de ce que la guerre n’ait pas pris des dimensions extrêmes, soyez-en béni de Dieu ! » Alexandre II, de son côté, répondait au roi Guillaume, couronné à Versailles empereur d’Allemagne : « Je partage votre joie… Je suis heureux d’avoir été en situation de vous prouver mes sympathies comme un ami dévoué. » Après cela n’est-il pas clair qu’à aucun moment, ni avant le 4 septembre, ni après la chute de l’empire, ni aux premiers jours, ni à la dernière heure, ni pour la guerre, ni pour la paix, la France ne pouvait attendre un secours efficace de Saint-Pétersbourg ?

Ce que la Russie ne faisait pas, parce que ce n’était point dans les données de sa situation et de sa politique, l’Angleterre aurait pu le faire sans doute. Elle n’avait pas les mêmes intérêts que la Russie ; elle ne pouvait avoir les mêmes vues, elle, l’alliée de la France en Crimée. Le déchaînement de l’esprit de conquête en Europe devait l’émouvoir et lui rappeler un temps où elle n’aurait pas laissé s’accomplir de telles révolutions d’équilibre sans y jouer son rôle. Malheureusement dès l’origine l’Angleterre, surprise, mécontente, mais résignée, avait pris l’attitude d’une puissance qui craint avant tout de se compromettre, et qui, pour éviter de se compromettre, recule devant la moindre démarche, de peur de se trouver placée, selon le mot de M. Thiers, « entre un affront et le recours aux armes. » C’est sous les auspices de l’Angleterre, par le concours de l’Autriche, de l’Italie, qu’avait été organisée cette ligue des neutres qui aurait pu être un moyen sérieux d’influence ou de négociation, et qui, par le fait, n’était bientôt plus qu’une sorte d’assurance mutuelle contre toute velléité d’action, surtout contre les sollicitations venant de la France.

Chose singulière, cette ligue des neutres, qui d’abord n’avait été nullement dirigée contre la France, finissait par nous rendre tout impossible. Lorsqu’on s’adressait à Vienne et à Florence, l’Autriche et l’Italie invoquaient leurs engagemens avec l’Angleterre. L’Angleterre, de son côté, se tournait vers Saint-Pétersbourg, où l’on déclarait que rien n’était possible, que l’empereur Alexandre avait d’ailleurs fait plus que tout le monde en écrivant au roi Guillaume. C’était un enchevêtrement bizarre aboutissant à une impuissance véritable, assurément fatale pour la France, peu glorieuse aussi pour l’Angleterre elle-même, qui n’y gagnait rien, qui se voyait conduite à cette humiliation d’avoir à réunir à Londres, sur la proposition de la Prusse et dans l’intérêt de la Russie, une conférence pour biffer d’un trait de plume l’œuvre de Crimée ! Aux derniers momens, il est vrai, à mesure qu’on approchait du dénoûment, l’opinion se réveillait, et dans une séance du parlement qui coïncidait avec la réunion de l’assemblée française à Bordeaux, le 17 février