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France et en Allemagne, les langues anciennes sont la base de l’instruction. Pour les élèves allemands, le principal est de s’en rendre maîtres, de savoir les lire et les écrire. Ils expliquent donc beaucoup et lisent le plus possible. Si le professeur s’arrête aux beautés, ce n’est que par exception ; il fait comprendre le sens, il donne les renseignemens historiques nécessaires ; il se permet peu de dissertations sur le goût. C’est le goût plus que toute chose qui préoccupe le maître français ; il insiste sur les délicatesses de la pensée, sur la noblesse du sentiment, sur le choix heureux des expressions. Les exercices écrits dans les deux méthodes ne sont pas les mêmes. Chez nous, la première place appartient à la composition ; le discours, la dissertation, le vers latin, prennent la plus grande partie de notre temps. Ces sortes de travaux n’ont qu’une importance secondaire en Allemagne ; ils sont le plus souvent facultatifs, ils n’auraient pas une utilité suffisante. On demande aux jeunes gens de longues traductions, des récits étendus écrits en latin ; il s’agit moins pour eux d’acquérir une certaine élégance que de s’exprimer correctement avec une grande facilité. Le latin de l’Allemagne est rarement littéraire ; il choque presque toujours nos humanistes, mais l’usage familier de cette langue est beaucoup plus répandu chez nos voisins que chez nous. Le temps que nous donnons aux exercices de la rhétorique d’un ordre plus ou moins élevé étant considérable, il en résulte que la seconde langue classique, la langue grecque, n’est pas enseignée dans les lycées. Elle figure aux programmes ; les élèves font quelques thèmes et quelques versions, traduisent péniblement tous les huit jours une page d’un prosateur ou d’un poète. Il est de règle que les meilleurs d’entre eux apprennent fort peu de chose. Dans les classes allemandes, le grec passe aussi après le latin, mais on s’attache à en donner l’usage aux jeunes gens par des moyens pratiques. Il n’est pas rare de voir un professeur lire en un semestre trois et quatre livres de Thucydide et autant de chants d’Homère. L’enseignement en Allemagne est philologique et positif, en France il est surtout littéraire.

Les humaniores litterœ, telles que nous les comprenons, ont une valeur morale et même pour quelques années un charme très particulier qu’on chercherait en vain dans la méthode de l’Allemagne. U est certain cependant qu’elles tiennent trop peu de compte des connaissances précises. Dans ce culte obligé de la perfection antique, la part du convenu est pour nos professeurs toujours très grande. Le maître tire plus de lui-même, de sa propre nature, du temps et des préjugés au milieu desquels il vit que des chefs-d’œuvre qu’il explique. Nous lisons surtout des extraits ; séparés de l’ensemble, ils perdent leur vrai caractère : nous ne saurions donner aux jeunes gens l’idée de ce qu’est le génie d’un auteur, de ce qu’est un livre