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qui n’avait aucun but moral, sauf la morale contenue dans un éclat de rire ; beaucoup d’autres récits non moins burlesques suivirent le premier. Tout le monde riait, les anciens comme les autres, et il en fut ainsi jusqu’à tel moment, que n’auraient pu préciser les rôdeurs de Salt-Fork, où les anecdotes, changeant insensiblement de portée, provoquèrent des larmes au lieu d’une hilarité folle.

La populace démoralisée était prête à se fâcher, mais, en tenant perpétuellement sa curiosité en haleine, Goodwin la maîtrisa jusqu’au bout. Chaque fois qu’une tentative d’interruption s’était produite, il tournait son interlocuteur en ridicule, de façon à ressaisir la sympathie d’un auditoire passionné pour tous les tournois, tant d’esprit que de corps. Morton savait parfaitement qu’on aurait à en venir aux mains avant la fin de la nuit, mais il espérait sauver quelques misérables au lieu d’avoir à les punir ; tous n’étaient pas également endurcis : avec les voleurs de grand chemin et les espions ou receleurs de ces derniers, que la crainte empêchait seule d’exercer ouvertement le brigandage, il y avait bon nombre de jeunes garnemens qui venaient troubler un meeting pour le seul plaisir de faire du bruit. Plus d’une âme fut capturée dans cet assaut spirituel, prélude de combats d’une autre sorte. Quelques-uns s’enfuirent saisis d’épouvante, d’autres tombèrent en convulsions, il y eut des clameurs, des sanglots ; l’insouciant Burchard lui-même frissonna quand Goodwin suivit pas à pas dans la voie de perdition le jeune homme qui va du mal au pire, en racontant comment lui-même avait commencé. À l’endroit le plus pathétique, la racaille, rompant le charme, commença son tapage. Aussitôt le prédicateur invita les pénitens à passer dans le lieu assez semblable à un parc à moutons qu’on appelle l’autel, et la forêt retentit des lamentations d’un bruyant repentir. Les démonstrations hostiles redoublaient en même temps. Goodwin, voyant que Burchard ne savait pas les réprimer, descendit de la chaire pour se mettre à la tête de sa police. Peut-être n’eût-il pas été forcé d’en venir aux dernières extrémités sans la maladroite intervention d’un de ses collègues, frère Mellen, qui, profitant d’un arrêt dans les chants religieux, lança comme une bombe cette apostrophe bouffonne : — Je vous vois suspendus par un cheveu au-dessus de l’enfer. Vous y tomberez, chenapans, et, une fois là, vos côtes serviront de gril pour rôtir votre âme !

— Pas possible ? Hurrah pour le gril ! ripostèrent les rudes, que la comparaison divertit extrêmement.

Mécontent de l’effet qu’avait produit son explosion, le frère Mellen crut devoir insister ; d’une voix stentoréenne, il fit pleuvoir sur la foule un torrent d’épithètes homériques. Cette eau-forte répandue mal à propos ne servit qu’à exciter l’incendie. Goodwin chercha