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rejeton du pacha héréditaire des Myrdites, peuplade catholique de l’Albanie, qui est presque constamment en hostilité avec les Turcs. Cet enfant de douze ans avait été enlevé par surprise à ses montagnes avec sa grand’mère octogénaire, unique reste des siens ; celle-ci se laissa bientôt mourir de faim, à ce que l’on croit à Constantinople, pour ne pas vivre au pouvoir de la Porte. Il me semble la voir encore, avec sa haute stature, son grand air et sa rare énergie, me recommander en larmes son petit-fils et m’exprimer toute son aversion pour ses oppresseurs. Le successeur d’Ali-Pacha voulut placer l’enfant à l’école militaire turque ; mais il dut y renoncer devant la résistance obstinée qu’il rencontra.

L’influence du lycée sur ses élèves et par eux sur leurs familles était sensible, et on pouvait en suivre les progrès d’année en année. Si après la campagne de Crimée, en même temps qu’elle laissait une mission militaire à Constantinople, la France avait eu la pensée d’établir dans les principales villes de la Turquie des lycées analogues à celui de Galata-Séraï, ces établissemens se seraient développés librement, en pleine paix extérieure, et auraient pu, dans une période d’une quinzaine d’années, former et verser dans la société sept ou huit générations de jeunes gens ayant parcouru le cercle entier de leurs études. Des maîtres indigènes, capables de se substituer aux étrangers, s’y seraient formés ; ils auraient donné à l’œuvre un caractère de nationalité qui lui manquait à l’origine et auraient pourvu à tous les besoins de l’enseignement. Les anciens élèves auraient, peu à peu et chaque jour davantage, relevé le niveau intellectuel et moral dans les fonctions publiques, dans le commerce, dans l’industrie, dans les arts, et il est difficile de dire quelle transformation se serait opérée dans le pays. Malheureusement cette tentative généreuse n’a été faite qu’à la veille de nos désastres et elle en a subi le contre-coup. L’avenir apprendra si, en arrêtant l’essor déjà imprimé, le gouvernement turc a fait acte d’indépendance et servi ses vrais intérêts, ou si, dépassant le but, comme il arrive en toute réaction, il ne s’est pas rejeté sous des influences qui, à un moment donné, peuvent avoir leurs périls. Quoi qu’il en soit, la pensée qui a présidé à la création en Turquie de lycées d’enseignement secondaire, accessibles aux enfans de toutes les races, est grande et prévoyante ; aux yeux des hommes impartiaux, elle sera l’honneur des esprits éminens qui l’ont conçue ainsi que des deux ministres qui l’ont réalisée.


DE SALVE.