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trop tard, le Moniteur annonçant la demande de Bailly était parti pour l’Autriche, et l’empereur Léopold, furieux d’apprendre qu’un de ses sujets avait voulu s’élever au rang de citoyen d’un pays libre, lança un décret foudroyant contre le pauvre Autrichien libéré. Gorani fut exilé de l’empire, expulsé des académies impériales dont il était membre, rayé du livre de la noblesse, et ses biens furent confisqués. Il fut donc bien forcé d’accepter la nouvelle patrie que lui offrait la France. Les biographes prétendent que les foudres de l’empereur furent allumées par le pamphlet de Gorani sur l’Italie ; mais les biographes se trompent, ces mémoires secrets ne parurent que deux ans après.

Le nouveau citoyen dut alors se choisir une place entre les partis ; il hésita longtemps et finit par se rallier aux girondins, qu’il prenait alors pour des royalistes ; il ne fut désabusé que longtemps après de cette illusion, et dut reconnaître qu’ils penchaient tous vers la république. Il n’y avait parmi eux, dit-il, qu’un homme « à idées pures, » Vergniaud. Cependant Gorani était fort lancé dans la politique écrite ; il publiait quantité d’articles, de mémoires, avoués ou non, qui le mirent en vue. Pendant la longue agonie de la monarchie, on lui offrit trois fois le ministère des affaires étrangères. Il n’accepta pas, parce qu’il désespérait du régime mourant et du roi faible et irrésolu, qui n’aurait jamais secondé ses efforts. Il dit à ce propos, sans beaucoup d’héroïsme : « Je voyais ce monarque courir lui-même à sa perte, et je ne voulais pas me perdre moi-même sans aucun espoir de succès. » Il n’accepta donc que des missions en France, où il fut chargé de relever l’esprit public et d’inspirer aux populations un grand enthousiasme pour l’assemblée législative. En 1792, poussé par ses amis Condorcet, Brissot, Clavière, Péthion, Vergniaud, il écrivit, sous le pseudonyme d’Emmanuel Texeira, celui de ses ouvrages qui lui valut le plus d’applaudissemens et d’imprécations, ses Lettres aux Puissances. C’étaient des épîtres adressées au roi de Prusse, au duc de Brunswick, aux rois de Naples, de Sardaigne, à d’autres souverains encore, pour les engager à rompre le traité de Pillnitz et à laisser la France en paix. À part les insolences et les pétulances, ces lettres, qui parurent au Moniteur, peuvent compter parmi les bons pamphlets du temps ; le citoyen Gorani, brûlant ses vaisseaux, embrassait chaudement la cause de sa nouvelle patrie. Il la déclarait invincible chez elle et vantait hautement l’enthousiasme, l’intrépidité de cette nation armée qu’il devait présenter plus tard comme une cohue de féroces badauds. Ses écrits firent du bruit et du bien, ils arrivèrent à qui de droit et attiédirent la coalition déjà menaçante. Gorani se reprocha plus tard le succès de son œuvre, et il eut tort ; la convention en fit tirer une belle édition dont elle lui offrit deux mille exemplaires