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passage : « Le progrès ayant inspiré à l’homme le désir du bien-être, nous ne comprenons pas pourquoi l’ouvrier, qui en est l’instigateur, n’aspirerait point à en posséder au moins une petite part. » La pensée, qui est au fond de ces déclarations, c’est que le travailleur manuel est dans les sociétés modernes le principal agent, quelques-uns diraient le seul agent du progrès. Il en est même qui assurent qu’il est le seul vrai producteur. Parlant des récompenses qui sont accordées aux industriels et non aux ouvriers, le délégué des marbriers dira : « Le producteur vrai, le créateur est-il souvent récompensé ? Non, tandis que la plupart des exploiteurs qui n’apportent en réalité que leurs capitaux se voient écraser de récompenses. »

Nous avons tenu à laisser parler nos auteurs ; leur langage est assez précis pour que personne n’y trouve d’équivoque. Il y a là un esprit singulièrement exclusif. Ces facultés inventives, ces dons naturels que les délégués attribuent aux ouvriers, ils les refusent aux patrons. Si l’on veut être complètement impartial, on verra qu’il y a quelque chose de fondé dans leurs affirmations et dans leurs plaintes. Que la plupart des découvertes viennent des ouvriers, cela est inexact et ne se peut soutenir ; mais peut-être faut-il distinguer deux termes que l’on considère comme synonymes, ceux de découvertes et d’inventions. Les découvertes, c’est-à-dire la conception de quelque grande lot scientifique inconnue, de quelque force naturelle jusque-là négligée, comme la vapeur, l’électricité, c’est aux hommes de science qu’on les doit en général. Au contraire les inventions, c’est-à-dire quelque perfectionnement de détail, quelque procédé nouveau de travail, on ne peut nier que beaucoup ne proviennent d’ouvriers. Or ceux-ci n’en sont pas toujours récompensés comme ils devraient l’être : ils ont eu l’idée, un autre aura le profit et l’honneur. Nous trouvons assez heureuse la pensée du délégué des mécaniciens qui voudrait dans ce cas faire intervenir, pour la protection de leurs membres, les chambres syndicales ouvrières. Quant aux récompenses qui sont décernées aux expositions universelles, il est clair que, pour toutes les industries qui demandent dans l’exécution une grande habileté de main-d’œuvre, les noms des ouvriers devraient être associés à ceux du patron. C’est du reste ce que l’on fait dans beaucoup de cas depuis quelques années ; on peut étendre ce système, qui n’est pas toujours, il faut le reconnaître, d’une application aisée.

La plupart des délégués n’ont que des éloges pour l’industrie française : ils affirment que l’exposition de Vienne a été pour elle un nouveau triomphe. Ils ne semblent pas redouter de concurrence sérieuse de la part de l’étranger. On a fait remarquer qu’il y a bien quelque chose d’intéressé au fond de tous ces éloges de