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automatique soit inventé depuis cinquante ans ; voyez aussi avec quelle lenteur le puddlage mécanique, qui fera faire un si grand progrès à l’industrie du fer, se propage chez nos voisins d’outre-Manche. La valeur de l’ancien outillage, le manque de capitaux, l’incertitude des résultats, le penchant à la routine, sont des obstacles considérables à la brusque transformation d’une industrie.

Il y a un lien évident entre la question des machines et celle de la division du travail et du travail aux pièces. On sait que l’ouvrier a toujours eu une certaine répugnance pour ces habitudes nouvelles de l’industrie moderne. Aujourd’hui encore on trouve dans la lecture des rapports des délégués la trace de ces impressions défavorables. L’ouvrier a bien quelque raison pour justifier ses opinions sur ces deux points. Ce n’est pas contre le principe, dit-il, c’est contre l’excès ou les vices d’application qu’il se raidit. Au point de vue esthétique, il trouve que la division du travail, quand elle dépasse une certaine limite, réduit trop son rôle et le rabaisse, que c’est ainsi un amoindrissement de sa dignité. Toutefois ce n’est pas là le grief principal de l’ouvrier ; ce qu’il reproche surtout à la division du travail, c’est de créer un trop grand nombre de spécialités et de rendre les crises soit plus fréquentes, soit plus accablantes. Un ouvrier ne sait plus faire qu’un détail et hors de là n’est bon à rien : il y a quatre catégories distinctes de travailleurs pour faire un gant ; il en est de même pour tout. Suivant l’expression d’un des délégués, à côté des machines-outils on a des hommes-outils. Ces plaintes sont en général exagérées. La division du travail ne tourne pas d’ordinaire contre l’ouvrier ; elle abrège la durée de son apprentissage, elle le met plus tôt en état de gagner des salaires élevés. Il est vrai aussi qu’elle rend les travailleurs manuels plus dépendans du patron : celui-ci n’est plus embarrassé pour remplacer les mécontens : comme il n’y a pas besoin d’une forte éducation technique et d’une longue expérience pour s’acquitter d’une lâche très circonscrite, on trouve facilement des hommes de bonne volonté pour succéder à ceux qui ont des prétentions trop élevées. C’est ce dernier grief qui est pour l’ouvrier le véritable. Quant au travail aux pièces, les délégués ne lui font pas non plus une opposition absolue. Les plus sages et même les plus nombreux en reconnaissent la justice. Il n’y a que dans les professions voisines des arts qu’on trouve une répugnance invincible pour ce mode de travail. Quelques corporations qui l’avaient combattu ont fini par s’y soumettre. C’est ainsi que la grève des marbriers avait supprimé dans ce corps d’état le travail aux pièces ; mais bientôt il a réapparu, triomphant de la mauvaise humeur des ouvriers. Les critiques que quelques-uns des délégués adressent au travail aux pièces peuvent, dans des cas particuliers, n’être pas dépourvues de raison : ils disent que c’est