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monde actuel. Toujours habile à communiquer ses impressions et à inspirer des sentimens favorables à ses désirs, Agassiz n’eut aucune peine à fonder une petite académie. Des contemplateurs des scènes de la vie des plantes et des animaux ou des phénomènes physiques, ayant vécu dans l’isolement, étaient flattés d’appartenir à un corps savant ; la Société des sciences naturelles de Neuchatel fut constituée. En qualité de secrétaire, Agassiz dirigea la compagnie, excitant sans relâche l’esprit de recherche, appelant des observations sur une infinité de sujets. A l’aide d’une cotisation fournie par chaque membre de la société, on put entreprendre une publication périodique ; des mémoires d’une importance réelle, souvent accompagnés de planches, composèrent de grands volumes. Neuchatel était devenu un centre scientifique ; les étrangers tournaient les regards de son côté, admirant l’essor inattendu.

Les hommes vraiment supérieurs, mesurant la durée de l’effort que réclame tout travail suffisamment approfondi pour faire jaillir de nouvelles lumières, voient combien demeurera restreint le champ de leurs propres explorations. Préoccupés de la pensée du progrès de la science plus que d’eux-mêmes, ils recherchent les investigateurs qui promettent de se montrer ingénieux et persévérans, ils se plaisent à livrer les conceptions de leur esprit, à indiquer les voies qu’il faut suivre en vue d’une découverte ou de l’éclaircissement d’une question obscure. Le naturaliste de Neuchatel, qui se jetait résolument dans les plus vastes entreprises comme s’il avait senti ses forces inépuisables, ne cessa jamais de répandre autour de lui les conseils, de signaler l’intérêt de certaines recherches, de provoquer des études. S’il eut des collaborateurs, loin de les laisser dans l’ombre, il les mit tout de suite sur le chemin de la réputation. En poursuivant son immense travail sur les poissons fossiles, Agassiz avait conçu le plan d’un bel ouvrage sur les poissons des eaux douces de l’Europe. Incapable de ne s’arrêter qu’à la simple considération des caractères extérieurs de chaque espèce, il tenait à saisir les particularités de l’organisation interne, et à bien connaître les phases du développement. Initié à ses aspirations, un jeune zoologiste plein de sagacité, Charles Vogt, prit une part active à l’étude anatomique des espèces du groupe de la truite et du saumon. Il observa plus tard les formes embryonnaires du même type avec un talent qui a été fort apprécié ; des fécondations artificielles souvent pratiquées en cette circonstance démontrèrent les avantages du procédé pour l’étude de l’évolution, en même temps qu’elles remirent en mémoire, un genre d’opération autrefois en usage dans plusieurs contrées pour peupler les eaux.

Toujours agité par le désir d’expliquer les phénomènes et de