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règlemens d’atelier, dans le taux des salaires, dans le mode de travail, les modifications raisonnables qui peuvent être utiles à l’ouvrier. Voilà les attributions actuelles et originelles des chambres syndicales ; mais elles pourraient, et, suivant les délégués, elles devraient beaucoup s’étendre. Les cotisations qui alimentent ces sociétés devraient être assez importantes pour subvenir à des secours mutuels, pour mettre le crédit à la portée de l’ouvrier et pour constituer un capital qui appartiendrait a la corporation. Les délégués comprennent tous maintenant que l’acquisition d’un capital est la première condition de leur émancipation. Ils croient y parvenir plus facilement par l’épargne collective, en quelque sorte imposée, que par l’épargne individuelle. Avec ce capital social, on essaierait prudemment la création de sociétés de consommation. Celles-ci, croit-on, ne pourraient manquer de donner des bénéfices ; on les emploierait à acheter un outillage professionnel qui servirait d’abord à exercer les apprentis, à former une ressource pour les temps de morte-saison ou de chômage, et qui, s’agrandissant peu à peu, serait un jour assez important pour qu’on pût créer une société coopérative de production fonctionnant régulièrement. Cette marche serait suivie simultanément dans tous les corps d’état » agissant d’ailleurs chacun à part, quoique avec les secours bienveillans les uns des autres. Une fois qu’une première société de production serait organisée, si les bénéfices continuaient, comme on le présume, on en constituerait une seconde, puis une troisième ; peu à peu les patrons seraient complètement éliminés, il ne leur resterait que le rôle de commanditaires des associations ouvrières. Ces associations, devenant chaque jour plus prospères, auraient moins besoin des capitaux d’autrui : aussi l’intérêt tomberait-il à un taux de plus en plus, bas, ce qui réduirait la part des capitalistes dans le partage des produits et augmenterait d’autant celle des travailleurs manuels. Tel est le plan de réforme des ouvriers : il est séduisant, mais en grande partie utopique ; pour qu’il réussit même partiellement, il faudrait beaucoup de temps, beaucoup de vertu, beaucoup d’intelligence, beaucoup de discipline, et beaucoup de bonheur, biens que la Providence jalouse ne prodigue pas ensemble.

Que sont aujourd’hui ces chambres syndicales ouvrières sur lesquelles on fonde tant d’espérances ? A l’époque où ont été rédigés les rapports des délégués, on en comptait à Paris 55, la plupart de création récente ; chaque jour, il en naît de nouvelles. L’organisation de toutes ces chambres syndicales est à peu près la même, quoique les formes diffèrent. Quelques-unes de ces sociétés sont très conciliantes et veulent se mettre en rapport avec celles des patrons pour constituer des commissions mixtes ; c’est ce qui existe déjà dans le corps d’état des imprimeurs en taille-douce. Les