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des sciences naturelles se réunissent à Neuchatel : parmi eux, on remarque des savans étrangers de la plus haute distinction, Léopold de Buch, Élie de Beaumont, d’autres encore. Agassiz préside l’assemblée ; dans le discours d’ouverture de la session, il rappelle les observations récentes sur les anciennes moraines et sur les blocs erratiques, il insiste à l’égard des surfaces polies d’une manière uniforme qu’on voit sur toute la pente méridionale du Jura ; il montre ces surfaces suivant les ondulations du sol, les coquilles que contiennent les roches, tranchées comme dans les plaques de marbre que la main de l’ouvrier a polies, les stries fines et nettes de la pierre, comparables aux lignes que trace sur le verre la pointe du diamant. Pour ceux qui ont observé dans les Alpes le fond des anciens glaciers, s’écrie le naturaliste, il demeure évident que la glace seule a poli et strié ces roches de dureté inégale. Résolument il proclame qu’en un-temps les glaces couvraient tout le massif des Alpes, qu’il y eut en Europe une époque de grand froid lorsque vivaient les mammouths. Pour la première fois, l’existence de la période glaciaire était dénoncée. Jusqu’alors, les géologues ont tout attribué à l’action des eaux : le poli et les stries des roches, le transport des blocs. Ils frissonnent en présence des assertions qui bouleversent les idées reçues. Léopold de Buch laisse échapper des exclamations en invoquant les mânes de Benedict de Saussure.

Aussitôt l’éclair lancé, Agassiz n’a plus qu’un souci : fournir des preuves, apporter des démonstrations irréfragables de la vérité des faits qu’il annonce. Dès cet instant vont commencer des explorations instructives et d’un caractère grandiose. De l’examen des roches polies du Jura, des cantons de Vaud, de Soleure, d’Argovie, était née la lumière ; visitant les glaciers de la vallée de Chamounix et de l’Oberland bernois en compagnie de M. Desor, le professeur de Neuchatel tire d’une multitude d’observations de précieux enseignemens. Au mois d’août 1839, la Société helvétique tenait sa session annuelle à Berne ; les membres étaient nombreux, l’animation grande. On ne manqua point de beaucoup discuter ; mais le désir de voir et d’étudier gagne les meilleurs esprits. Un adversaire des nouvelles doctrines, Studer, l’éminent géologue qui connaît les Alpes à merveille, propose une course aux glaciers du Mont-Rose, promettant sur un vaste champ les choses les plus intéressantes ; on accepte.

Agassiz, Studer, Desor et quatre amateurs entreprennent l’excursion. Au passage de la Gemmi, chacun est ravi à l’aspect des chaînes du Mont-Rose, étonné, si le regard plonge dans la profondeur où l’on aperçoit les bains de Louèche. Une ancienne moraine accrochée au flanc de la montagne attire l’attention des investigateurs ; elle