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et, de guerre, lasse, on était tombé d’accord pour accepter une combinaison qui assimilait complètement l’administration dans les deux pays, tout en maintenant leur séparation. C’était, comme plus tard en Italie, le projet de confédération opposé à celui d’unité ; mais alors aussi fut donné sur les bords du Danube le premier exemple de cette stratégie nationale qui devait bientôt se produire sur une plus vaste échelle dans la Toscane et l’Emilie. La double élection du prince Couza fut en effet le premier essai de cette diplomatie populaire qui plus tard, dans les affaires italiennes, se plaisait si souvent à confondre les combinaisons de hauts plénipotentiaires et hauts contractans, et venait proclamer à la face du monde un fait accompli de par le suffrage de la nation. — Les votes populaires annulant les arrangemens de la diplomatie, et l’accord de la France et de la Russie pour respecter ces votes, ce sont là les deux traits saillans de la politique dans ces années 1856-1859, politique que l’opinion libérale de l’Europe accueillait avec faveur sans trop s’étonner d’une pareille concordance de vues entre les cabinets des Tuileries et de Saint-Pétersbourg sur ce terrain même d’Orient encore chaud des boulets de la guerre, sur ce terrain d’où la Russie avait dû d’abord, dans la pensée des alliés de 1853, être complètement exclue, et où elle reprenait maintenant influence et racine, modestement il est vrai, et sous l’ombre protectrice de la France.

Vinrent enfin les complications italiennes, et le gouvernement du tsar multiplia les témoignages de ses bons rapports avec le cabinet des Tuileries. « Nos relations avec la France sont cordiales, » répondit le prince Gortchakof à lord Napier, charge par son gouvernement de sonder les dispositions de la Russie dans des occurrences aussi graves. L’Angleterre faisait alors des efforts considérables pour empêcher la guerre d’Italie d’éclater ; lord Cowley, envoyé avec un certain fracas en mission à Vienne, s’évertuait à découvrir les bases possibles d’un accommodement, et déjà le cabinet de Saint-James se flattait de l’espoir d’avoir enchaîné la tempête, quand le prince Gortchakof vint subitement proposer un congrès, et prononcer ce mot fatal qui alors, comme si souvent depuis, ne fut que le signal de la rupture. Un congrès ! un traité de paix avant toute hostilité, la gloire du triomphe sans le péril de la victoire, — ce fut là l’éternel hysteron-proteron de l’idéologie napoléonienne, ce fut là la chimère poursuivie par le rêveur de Ham dans la question de la papauté, dans la question de Pologne et de Danemark, et jusque dans la catastrophe de 1870 après la déclaration de guerre, et il est curieux de voir le prince Gortchakof colporter ici le premier un remède que la France impériale devait si