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en allant expliquer franchement aux souverains réunis à Bade combinent sa politique ne s’écartait jamais du droit et de la justice, a dû porter dans des esprits aussi distingués et aussi exempts de préjugés la conviction que ne manque pas d’inspirer un sentiment vrai expliqué avec loyauté. » Il paraîtrait cependant que la conviction ne l’avait pas emporté complètement sur les préjugés, car, à la suite de la réunion de Bade, il y en eut une autre à Tœplitz, entre l’empereur d’Autriche et le prince-régent de Prusse, où l’on convint encore d’une troisième qui devait avoir lieu à Varsovie avec l’empereur de Russie, — et le tsar accepta le rendez-vous.

« Ce n’est pas de la coalition, c’est de la conciliation que je vais faire à Varsovie, » déclarait l’empereur Alexandre II à l’ambassadeur français, M. le duc de Montebello, dont le gouvernement fut naturellement bien ému de la tournure que prenaient les choses. Les formes conciliantes, ne manquèrent pas en effet à la dépêche par laquelle le prince Gortchakof « invitait le gouvernement français à lui faire connaître dans quelle mesure il croirait pouvoir seconder les efforts qu’allait tenter la Russie pour prévenir la crise dont l’Europe était menacée ; » mais, si polies que fussent ces formes, elles ne cachaient pas moins une légère sommation de s’expliquer. Le cabinet des Tuileries répondit par un mémorandum où il prenait avant tout « l’engagement catégorique de ne donner aucun appui au Piémont dans le cas où l’Autriche serait attaquée en Vénétie. » Les cabinets de Vienne et de Berlin firent leurs remarques sur plusieurs points du mémorandum français, et les adressèrent… au vice-chancelier russe, qui les transmit à Paris avec la demande de nouveaux éclaircissement plus explicites et plus rassurans. Somme toute, aucun résultat positif ne sortit de cette rencontre des trois souverains du nord qui un moment avait causé de très vives appréhensions à la France. C’est que l’empereur Alexandre n’était au fond allé à Varsovie que dans un intérêt tout particulier ; il n’y avait voulu faire ni de la coalition, ni de la conciliation, il avait voulu faire tout simplement un acte d’influence, la démonstration de sa force. Il était flatté de voir ces souverains, ces princes allemands, venir dans l’ancienne capitale de la Pologne pour y délibérer sur la situation générale et y recevoir le mot d’ordre : cela rappelait les beaux jours de l’empereur Nicolas. D’un autre côté, la Russie était bien aise aussi de faire sentir à la France tout le prix de son amitié, de lui faire comprendre que ses services avaient maintenant leur valeur beaucoup plus grande, peut-être même leur tarif… Les pièces habiles qui émanèrent successivement dans ces années 1856-60 de la chancellerie de Saint-Pétersbourg indiquent d’une façon très plastique la marche toujours ascendante de la Russie depuis la paix de Paris.