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faisait contre-poids à la Prusse, et l’entrevue de Varsovie venait de prouver que l’influence russe parmi les états germaniques n’avait point certes diminué.

Non moins circonspect et habile se montra le vice-chancelier russe à ne pas trop compromettre, dans ses connivences avec l’empereur Napoléon III pendant ces années 1856-60, certains principes généraux de conservation qui avaient fait la grandeur et la force du règne de Nicolas. Sans doute en Serbie, dans les principautés danubiennes, Alexandre Mikhaïlovitch ne fut pas d’une orthodoxie rigoureuse, et souffrit que des votes populaires y vinssent annuler les arrangemens stipulés par les traités ; mais par rapport à ces pays d’Orient la Russie s’est de tout temps permis mainte licence politique. Dans les affaires d’Occident par contre, le prince Gortchakof eut soin de rester autant que possible dans les traditions et de ne pas trop verser dans le « droit nouveau. » Il laissait les journaux et les écrits périodiques de Moscou et de Saint-Pétersbourg s’enorgueillir à leur aise de ce que la Russie contribuait puissamment à la délivrance des peuples et au triomphe des nationalités : pour lui, dans les documens datés de sa chancellerie, il se garda bien de tous ces néologismes et persévéra dans la terminologie consacrée par le vieux langage diplomatique. Dans ces documens, il n’était point parlé des aspirations nationales ni des votes populaires, lorsque le Milanais et la Savoie changèrent de maîtres : aux yeux du vice-chancelier russe, c’étaient tout simplement des faits de guerre, « des transactions régulières. » Encore moins songea-t-il à faire de la propagande révolutionnaire à l’étranger et à s’associer au commerce d’exportation que, selon une remarque malicieuse d’alors, Napoléon III avait entrepris avec les idées libérales. Il déclina catégoriquement toute participation aux remontrances adressées au roi de Naples, et déclara dans sa circulaire du 22 septembre 1856 « que vouloir obtenir d’un souverain des concessions quant au régime intérieur de ses états par voie comminatoire ou par des démonstrations menaçantes, c’était se substituer violemment à son autorité, gouverner à sa place et proclamer sans fard le droit du fort sur le faible. » — Enfin dans sa fameuse note au prince Gagarine du 10 octobre 1860, il tança vertement le gouvernement sarde pour sa conduite dans l’Emilie, la Toscane, les duchés de Parme et de Modène, et s’éleva avec force contre ces dépossessions de princes et ces annexions de provinces que six ans plus tard il devait tolérer, favoriser même en Allemagne. « Ce n’est plus, disait-il dans la dépêche au prince Gagarine, une question d’intérêts italiens, mais d’intérêts généraux, communs à tous les gouvernemens ; c’est une question qui se rattache directement à ces lois éternelles sans