Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’intéresse pas le bonheur éternel, que le pape se réserve le droit de faire seul cette définition, que partant sa compétence est illimitée, que, selon toute apparence, il interviendra de plus en plus dans les affaires temporelles, et qu’il était urgent de rendre les catholiques de la Grande-Bretagne attentifs à cette probabilité et de leur proposer le cas de conscience que voici : si demain le pape déclarait nulle et sans effet une loi passée dans le parlement anglais, comme il a déclaré nulles et sans effet les lois ecclésiastiques votées par le parlement prussien, comment vous y prendriez-vous pour concilier l’obéissance que vous lui devez avec vos devoirs de citoyens anglais ? Si demain le saint-père, en vertu de la bulle Unam sanctam, déposait la reine d’Angleterre, quelle conduite tiendriez-vous ? et n’êtes-vous pas forcés de reconnaître que désormais votre loyauté politique est à la merci d’une puissance étrangère ?

Laïques et gens d’église, tous les catholiques marquans du royaume-uni se sont crus obligés de répondre à cette question pressante, et ils ont déclaré à l’envi qu’ils la tenaient pour une insulte, que leur loyauté politique était au-dessus de tout soupçon, que tous ils se sentaient capables d’être à la fois de bons Anglais et de bons catholiques. A la vérité M. Gladstone n’avait jamais mis en suspicion leur loyauté, il avait voulu seulement les rendre attentifs aux conflits de conscience auxquels on s’expose par des engagemens contradictoires. Il était convaincu que « les fiers léopards » leur étaient plus chers que la logique, il ne leur avait pas fait l’injure de douter de leur patriotisme et de leur inconséquence. Leur réponse avait prouvé que si le gallicanisme ancien, comme l’écrivait un jour le père Lacordaire au comte de Montalembert, « est une vieillerie qui n’a plus que le souffle et à peine, le gallicanisme instinctif, qui consiste à redouter un pouvoir qu’on lui présente sans limites et comme s’étendant par tout l’univers sur 200 millions d’individus, est un gallicanisme très vivant et très redoutable, parce qu’il est fondé sur un instinct naturel et même chrétien. » Mais il n’a pas suffi aux catholiques du royaume-uni de protester qu’ils étaient de bons citoyens ; ils ont tâché d’établir qu’il n’y a aucune contradiction entre l’obéissance qu’ils doivent au souverain pontife et le serment d’allégeance qu’ils prêtent à leur reine. Les deux grands docteurs de la communion anglo-romaine ont l’un et l’autre entrepris cette démonstration. Le malheur est que l’archevêque de Westminster et M. Newman ne s’accordent ni dans leurs prémisses, ni dans leurs conclusions, — et comment s’accorderaient-ils ? L’un a contribué plus que personne à la proclamation du dogme de l’infaillibilité, « et après avoir été à la peine il a été à l’honneur. » L’autre s’est soumis ; mais on prétend que depuis ce jour ses épanchemens intimes respirent je ne sais quoi qui ressemble à la tristesse d’un prisonnier.

M. Manning possède le génie de l’argumentation. Il a la parole en