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Au matin, le ciel, d’une sérénité parfaite les jours précédens, est tout couvert, la pluie tombe ; avec une impatience fébrile, on attend l’heure de midi ; la perspective d’être trop mouillé s’éloigne, tout le monde se précipite hors de la maison. En longeant la Viège, Agassiz fait remarquer à ses compagnons de quelle manière l’eau use la roche qui entrave son passage ; le poli est mat, cela ne ressemble point au poli brillant que donne la masse de glace ; en aucun cas, il n’y a de ces stries qui sont caractéristiques au suprême degré. Au bord du glacier, une circonstance permet de constater un accroissement ; au mois de mai, des pommes de terre ont été plantées, maintenant les touffes sont pressées les unes contre les autres ; cédant à une impulsion, la moraine les a refoulées. Sur le glacier, les crevasses offrent un intéressant sujet d’étude : où la surface est unie, elles sont étroites et perpendiculaires ; où le plan est fortement incliné, elles sont béantes et sans direction régulière. C’est qu’ici la fonte a produit dans la masse crevassée les découpures bizarres connues sous le nom d’aiguilles. Les esprits enclins à l’imagination y découvrent des figures, des physionomies, des images grotesques. Pendant que les observateurs prennent des vues, un des naturalistes de la petite troupe, M. Nicolet, recueille les plantes. C’est l’occasion d’une remarque curieuse : en général, les espèces ne se distinguent pas de celles des hautes vallées du Jura, moins élevées que Zermatt de 300 à 400 mètres. A pareille altitude, les sommets du Jura n’ont pas d’arbres, tandis que les forêts de mélèzes, ne s’arrêtent qu’à plusieurs centaines de mètres au-dessus du village valaisan. Rien n’indique mieux la différence de climat entre les deux points si peu éloignés ; il y a pour le Valais un avantage, dû à l’élévation des remparts des Alpes. La pluie recommence ; passablement trempés, les investigateurs gagnent le logis. La dernière journée sera pour une course au glacier supérieur de Zermatt. Ici, l’aspect est particulier ; la moraine riveraine est formée non plus de granit, mais de serpentine schisteuse ; il y a nombre de belles tables de proportions colossales : au lieu de crevasses, des trous, ou plutôt des entonnoirs, remplis d’eau limpide. Agassiz plonge le thermomètre dans plusieurs de ces trous et s’étonne de voir de l’un à l’autre une variation de température d’au moins un degré. Cherchant la cause, il la trouve ; où l’eau accuse la température la plus élevée, le fond du trou est tapissé de gravier ; où l’eau est la plus froide, la cavité ne contient aucun sable. Le glacier du Mont-Rose, qui succède à celui du Gornerhorn, présente des entonnoirs énormes ; le professeur explique de quelle façon se forment ces vastes ouvertures. Deux filets d’eau se rencontrant déterminent un petit creux ; les menus fragmens de roches charriés s’accumulent, et, grâce à leur propriété