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Cependant les nouveau-venus, qu’il faut appeler désormais les Japonais, prenaient possession du sol en guerriers laboureurs à la façon des anciens Germains. Ils s’habituèrent à vivre dans une sorte d’indépendance. Ceux qu’une infirmité physique ou leur penchant naturel éloignait du métier des armes se vouèrent exclusivement à l’agriculture ; les autres abandonnèrent tout travail, se tinrent prêts à répondre à l’appel de l’empereur en cas de guerre, et prirent ainsi vis-à-vis des premiers le rôle de protecteurs, prélude d’une féodalité bien plus militaire que territoriale, fondée au profit de quelques potentats qui ne tardèrent pas à devenir les maîtres du pays. Loin de s’en inquiéter, la cour impériale crut avoir assuré son salut en s’évertuant à fomenter la discordé entre les différens clans et à perpétuer des guerres civiles dans lesquelles elle devait finalement disparaître.

Par quels moyens espérait-elle maintenir sa suprématie ? En premier lieu, elle avait fait alliance avec la religion. Le mikado était le descendant des dieux, le chef et le souverain juge du clergé, le fondateur des temples les plus célèbres, le distributeur des gros « bénéfices » et des dîmes énormes attribuées aux bonzeries. Il disposait de toute l’influence monastique, qui était grande ; on voyait des criminels échapper à la justice et des usurpateurs même éviter le châtiment en se mettant sous la protection des monastères, qui exerçaient un véritable droit d’asile. Les temples servaient en même temps d’écoles, et entre les mains des prêtres bouddhistes l’enseignement, emprunté tout entier aux livres chinois, inculquait aux générations le respect du souverain comme un dogme fondamental. Les desservans laïques des temples ou mya sintoïstes formaient de leur côté une véritable armée et assuraient la centralisation impériale tout au moins dans le domaine religieux. Enfin les empereurs consacraient cette union avec le clergé en se faisant eux-mêmes raser la tête après leurs fréquentes abdications, forcées ou volontaires. Le sacerdoce offrait ainsi aux monarques incapables ou aux candidats évincés un refuge qui fait involontairement songer à nos derniers Mérovingiens.

On chercha un autre élément de durée dans l’immobilité de la dynastie. Au début, le pouvoir était héréditaire et transmis le plus souvent au fils aîné, quoiqu’il n’y eût pas de règle à cet égard. A défaut d’héritier mâle, l’empereur choisissait par adoption son successeur, ou bien une fille, veuve ou sœur, montait sur le trône. Outre les fils d’impératrice, les fils d’une des douze concubines officielles attachées à la cour sous le titre de servantes de l’impératrice pouvaient devenir héritiers ; mais, sous l’influence des idées chinoises, afin de donner plus de fixité au pouvoir, afin d’écarter aussi les compétitions que la faculté d’adopter devait susciter autour du