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daïmio n’a d’hommage à rendre ; aussi, sauf les hommes sûrs qu’on lui adresse, le souverain prisonnier n’a-t-il jamais l’occasion de voir un des grands feudataires. Point de contributions à leur demander, point d’ordres à leur donner ; le séjour même de Kioto leur est interdit : on évite ainsi une conspiration de l’aristocratie sous la bannière du prince semblable à celle qui a précisément réussi en 1868. Le shogoun prend à sa charge personnelle toutes les dépenses d’entretien de la cour, et affecte à cette partie du budget toutes les taxes perçues sur les routes, ponts, bacs, etc. Ainsi isolé, le monarque fainéant n’était plus à redouter ; mais il restait à faire tourner au profit du nouveau pouvoir les élémens de force et de centralisation de l’ancien. L’autorité ecclésiastique rayonnait autour de Kioto : c’est là qu’elle avait son centre d’action ; il fut déplacé. Les tribunaux ecclésiastiques furent transférés à Yeddo. Si affaiblie que fût l’autorité impériale, elle n’en conservait pas moins un prés-tige que Yéyas sut maintenir pour se l’approprier. Il lui demanda l’investiture et la consécration solennelle d’un pouvoir qu’on ne pouvait ni lui ôter, ni lui contester. Reconnaissant une supériorité nominale qui ne pouvait militer qu’à son profit, il donna lui-même l’exemple d’un respect à distance pour le trône.

Tranquille désormais du côté de son auguste rival, il reste au législateur le soin d’assurer la paisible possession de la toute-puissance à ses descendans. Il laisse sous leur domination immédiate les plus riches provinces du Japon, celles qui ont la plus grande importance commerciale. Quelques chefs des plus fidèles familles qui l’entourent doivent constituer une petite oligarchie solidaire et s’accorder sur le choix d’un successeur à défaut d’héritier mâle. Le choix du chef confié aux grands dignitaires rivaux constitue sans aucun doute le point faible du système, il a été l’origine de bien des luttes obscures et l’une des causes qui en ont amené la chute.

À ses successeurs et à ceux qu’il croit intéressés à la grandeur du shogounat, le testateur adresse à plusieurs reprises des avertissemens dont quelques-uns semblent empreints d’une naïveté un peu factice, tandis que d’autres nous offrent la révélation curieuse de ce que pensait, il y a trois siècles, un Machiavel oriental s’inspirant de la sagesse chinoise.


« Article 76. … Un homme ordinaire est comme un outil. Or chaque outil a son usage propre et séparé ; le marteau ne répond pas au besoin du ciseau, et la vrille ne peut servir de scie. Chaque individu a précisément son emploi spécial de la même manière. Servez-vous d’un sage pour la sagesse, d’un homme brave pour le courage, d’un homme robuste pour la force ; la maladie même d’un homme malade peut servir ; en un mot servez-vous de chacun suivant son aptitude individuelle. Pas