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surveillance et d’entretien des quartiers dans les villes, de culture dans les villages, de responsabilité civile en cas de dégâts, etc. Les otokodaté avaient plus d’étendue et un tout autre but. C’étaient des associations maçonniques de braves gens qui se promettaient mutuellement aide et assistance. Un samouraï déclassé, un ouvrier sans emploi, un fils chassé par son père, quiconque se sentant faible et isolé voulait se recomposer une famille et un clan se présentait au « père » de l’otokodaté. On ne se montrait pas difficile sur les antécédens ; pourvu que le postulant fût un bon compagnon, prêt à donner sa vie pour les autres. Le mot lui-même signifie homme chevaleresque, et c’était en effet une sorte de chevalerie roturière qui se proposait de combattre les oppresseurs et de soutenir les faibles, quelquefois même de subvenir à leurs besoins. Ils se secouraient en cas de maladie ou de misère, mais en échange le chef ou père obtenait une autorité sans limites, il se faisait obéir au premier signal, sous peine d’exclusion irrévocable du compagnon récalcitrant. Le bas peuple des grandes villes se courbait avec soumission devant ses ordres ; il en obtenait parfois ce que les officiers du gouvernement se voyaient refuser ; c’était un protecteur puissant, et même parmi les grands plus d’un briguait son amitié. Il traitait de pair à compagnon avec les plus grands seigneurs, et comme l’orgueil des humbles s’attache à la gloire de ceux qui les commandent, sa position relevait à leurs propres yeux les pauvres gens qui exécutaient ses volontés.

La tradition populaire a conservé le nom d’un de ces chefs. Elu après une série d’aventures père de l’otokodaté, Chobei avait acquis dans Yeddo une puissance avec laquelle il fallait compter. On jour, il entre dans une maison de thé du Yoshiwara, où l’on attendait un hattamoto (noble), et s’installe sans façon sur le tapis préparé pour un autre. Le noble arrive, et, trouvant un homme en apparence endormi, demande quel est ce manant ; on le lui nomme ; saisissant cette occasion d’humilier l’orgueil d’un roturier, il vide par dix fois le contenu de sa pipette sur Chobei. Celui-ci consent enfin à s’éveiller et s’excuse ; Iurosayémon l’invite ironiquement à partager son repas et lui tend des tranches de poisson cru à la pointe de son sabre ; mais Chobei, sans trembler, ouvre la bouche pour les recevoir. Sans se laisser décontenancer, le père de l’otokodaté demande à son tour à son hôte ce qu’il peut lui offrir suivant son goût. « J’adore le hudon, » répond le grand seigneur. C’est un mets très vulgaire et à très bas prix, dont se nourrissent uniquement les gens du peuple. Il voulait rappeler ainsi au père de l’otokodaté sa chétive origine ; mais celui-ci, résolu à tenir tête, donne ordre à un de ses hommes de faire apporter pour cent rios de hudon. Tous ses fidèles se mettent en course et en quelques instans apportent des