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dans l’ordre civil, lors de la nuit du Il août. Moins spontanée, mais plus durable, la retraite des princes ne semble pas leur avoir laissé de regrets, et chaque année qui s’écoule contribuerait à rendre leur repentir plus impuissant, s’il voulait se manifester.

Ainsi a disparu l’œuvre habile et puissante des Tokungawa. Ce n’est pas sans effort qu’on impose silence aux regrets, peu philosophiques sans doute, qui vous saisissent à l’aspect des grandes institutions du passé renversées. Ces regrets s’accentuent davantage lorsque, nulle institution n’ayant pris la place des anciennes, la nation se débat dans le chaos et l’anarchie. Pour qui voit aujourd’hui au milieu de quels tiraillemens et de quels périls marche le Japon, il est difficile de ne pas se prendre d’une admiration rétrospective pour le mécanisme si bien réglé de son ancien régime. Ainsi pensent tout bas maints Japonais, et, s’il faut le dire, quelques-uns des Européens qui ont été cependant les complices involontaires de la révolution. Regrets inutiles du reste ! chaque nation porte en elle des forces latentes dont elle ne peut empêcher les évolutions nécessaires ; l’habileté des politiques consiste à les diriger, non à les arrêter. Il ne reste donc plus qu’à envisager résolument le présent, à en étudier les besoins et les ressources pour imprimer, s’il se peut, au pays une impulsion favorable à son avenir.

A vrai dire, le tableau qu’offre le moment actuel n’est ni beau ni rassurant. Les nations ont comme les adolescens leur âge ingrat, époques indécises où les grâces de l’enfance s’enfuient avant que la virilité leur succède. Les périodes de transformation, si lumineuses quand l’histoire les contemple de loin, n’offrent aux yeux des contemporains que confusion et contradictions. Tout ce qui était n’est plus ; rien de ce qui sera n’est encore. Comme la Russie de Pierre le Grand, le Japon, surpris en formation, ne présente que des ruines encombrantes, du milieu desquelles on ne voit pas encore s’élever un nouvel édifice. Les impatiences du réformateur brisant ce qu’il devrait améliorer, les mesures despotiques employées dans un dessein libéral et allant droit contre leur but, les concessions faites à la nécessité au détriment de la logique, les alternatives d’audace et de timidité, sont le cortège ordinaire de ces sortes de révolutions par en haut.

Mais une pareille crise offre dans un pays oriental un phénomène particulier qui tient à la connexité plus étroite qu’ailleurs des mœurs avec les lois. Sous le despotisme paternel, les lois, les mœurs, les manières, les devoirs publics et privés n’ont qu’une même source : l’autorité du souverain. La réglementation tue la conscience et la remplace ; elle prend l’homme au berceau et lui indique heure par heure ce qu’il doit faire, dire et penser. Parmi l’amas formidable des nécessités sociales qui s’imposent à lui,