Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contrôle de l’état, elles n’ont pas, comme les compagnies anglaises, la liberté absolue pour la manœuvre de leur service ; il leur faut compter avec l’administration représentée par ses nombreux agens, avec les maires des villes, avec les députés, avec les conseillers-généraux ; il leur arrive d’avoir à faire face à des ordres ou à des désirs parfois contradictoires qui peuvent gêner la marche rapide et normale des trains. En outre leur argument le plus puissant, c’est la modicité de leur tarif jointe à la sécurité du transport. Nos compagnies déclarent que, si l’on voulait leur payer des prix aussi élevés qu’en Angleterre, elles pourraient fournir un service aussi complet et aussi rapide. Elles estiment d’ailleurs que le bas prix a plus d’intérêt que la vitesse, et que les préférences de la population française sont avant tout pour l’économie.

Cette opinion pouvait être soutenue il y a quelques années : nous l’avons partagée et exprimée ici même ; nous croyons qu’elle a cessé d’être exacte. La génération qui a précédé celle-ci avait encore le souvenir des diligences et du roulage ; la vitesse la plus modérée d’un chemin de fer lui semblait, par comparaison, un tel profit, un tel bienfait qu’elle ne songeait pas à désirer mieux. La présente génération a grandi avec d’autres habitudes, avec le goût du mouvement, de l’action rapide, et elle demande que la vapeur lui donne aujourd’hui toute sa puissance. Il y a là, si nous ne nous trompons, une progression de désir, de volonté, impression toute morale dont on doit tenir compte même dans l’étude des intérêts matériels. L’ambition est venue en marchant. N’est-il pas évident que depuis quelques années, grâce au développement des affaires et à la multiplicité des relations qui se sont créées tant à l’intérieur qu’au dehors, le caractère de la population française s’est singulièrement modifié ? Le cercle de toutes les opérations s’est agrandi, les horizons sont plus larges, et la vie a les heures plus pleines. Pour nous, comme pour les Anglais, le temps est devenu de l’argent ; le go a head américain ne nous étonne plus. Qui sait même si avec notre génie si prompt nous ne sommes pas en train de dépasser sur certaines routes nos ardens rivaux ? Ce qui est incontestable, c’est que les Français apprécient aujourd’hui beaucoup mieux ce que vaut la vitesse et qu’ils ont acquis par le travail le moyen de la payer.

S’il en est ainsi, notre service de chemins de fer doit se prêter à une réforme nécessaire en prenant exemple sur les services étrangers. On a mis au rebut les vieux paquebots, si admirés en leur temps ; il faut de même renoncer aux vieilles vitesses, et perfectionner le matériel, l’outillage, les règlemens. Comme on ne peut tout faire à la fois, il serait prudent de commencer au plus tôt