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Pareil honneur est presque toujours réservé à des hommes parvenus à l’âge mûr, sinon à la vieillesse ; Agassiz le recevait avant d’avoir accompli sa trente-deuxième année, et chacun devait dire : Justice a été faite.

En 1843 arrivait à son terme l’ouvrage sur les poissons fossiles, véritable monument qui suffirait seul à rendre impérissable la gloire de l’auteur[1]. Dans l’introduction, la nouveauté des idées, la finesse des aperçus, la grandeur des conceptions générales, transportent l’esprit dans les plus hautes régions où puisse s’élever la pensée humaine. Une savante étude comparative des systèmes organiques qui permettent de déterminer les espèces éteintes conduit à l’appréciation des ressemblances et des dissemblances des types des époques anciennes avec ceux de l’époque actuelle. Une exposition des lois qui semblent présider à la succession des espèces durant toutes les métamorphoses du globe terrestre initie à la nature des changemens survenus dans la population des mers. Une description de mille espèces qui n’existent plus, et dont on a retrouvé les débris dans les couches de la terre, reporte à des aspects de la vie dans les âges reculés.

Agassiz venait d’achever le vaste ouvrage sur les poissons fossiles, et déjà on l’appelle pour faire la lumière sur une multitude de débris nouvellement exhumés en Angleterre. Ce sont des formes qui pour la première fois se révèlent aux yeux des naturalistes. Oubliant la fatigue d’un labeur de plus de dix années sur le même sujet, il se rend à l’invitation et ajoute un grand chapitre à l’histoire des espèces éteintes[2]. En présence de cette œuvre immense sur les poissons des temps géologiques, il est impossible de ne pas éprouver pour l’auteur qui sut l’accomplir un sentiment de profonde admiration. Une science manquait, elle a été créée. Sans doute, comme tout ce qui sort de la main des hommes, cette science n’est point éclose sans imperfections, — personne ne l’ignorait moins que l’investigateur, qui déplora d’avoir eu trop rarement la facilité de recourir à d’utiles comparaisons ; malgré tout, l’esprit humain avait été mis en possession d’un nouveau domaine, l’avenir était préparé.

En se livrant à l’étude des espèces fossiles dont on a seulement ou le squelette ou les parties tégumentaires, Agassiz dut s’attacher à reconnaître d’une manière très parfaite sur les espèces vivantes

  1. Les Recherches sur les poissons fossiles forment cinq volumes grand in-4o et un atlas de 384 planches.
  2. Supplément aux Recherches sur les poissons fossiles. — Monographie des poissons fossiles du vieux grès rouge ou système dévonien des îles britanniques et de Russie, in-4o avec 42 planches, Neuchatel 1844-1845. — Ouvrage rédigé à la demande de l’Association britannique pour l’avancement des sciences.