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lâché en liberté ; on le laisse seul chercher sa nourriture, se désaltérer, s’il trouve de l’eau, et quelquefois il lui faut faire une lieue ou deux pour en rencontrer. Le cavalier qui l’a surmené ne prendra pas soin, ni personne pour lui, de lui donner l’eau dont il a besoin, et que généralement un puits fournit à l’habitation comptant sur lui seul, l’animal rejoint la troupe avec laquelle il pâture toujours aux mêmes heures, aux mêmes endroits. Chaque habitant et chaque serviteur de l’estancia doit avoir huit ou dix chevaux personnels pour le service journalier. Chacun en conserve toujours au moins un attaché au palenque, sellé et bridé. Chaque matin, on réunit dans une enceinte formée de pieux de bois dur, serrés les uns contre les autres et fortement réunis par des liens solides, les différentes troupes de chevaux, parmi lesquelles on choisit les bêtes nécessaires au service de la journée ; ceux-là sont attachés au poteau, et, qu’ils restent inutiles ou qu’ils soient employés à un travail quelconque, ils passeront la journée entière sans prendre aucune nourriture et sans pouvoir faire d’autres mouvemens que ceux que permet leur licol attaché fort court. Les troupes de chevaux domptés sont toutes composées de chevaux hongres ; ces cavaliers intrépides n’en emploient pas d’autres, et jamais on n’a vu ni sellé ni attelé un cheval entier pas plus qu’une jument ; c’est là un signe du caractère des habitans, plus fanfarons qu’audacieux, s’étant fait une réputation de cavaliers incomparables et ne se risquant à monter que des chevaux déjà diminués avant d’être domptés.

Les jumens sont toutes sans exception réservées à la reproduction. Elles vivent dans une liberté absolue par troupes de dix à vingt appelées manadas, dirigées par un étalon ; les chevaux, dressés forment des manadas spéciales confiées à une jument madrina. (marraine), portant au cou une clochette. On peut juger par ces détails du cas qu’il faut faire des récits fantaisistes inventés sur les troupes de chevaux sauvages qui couvrent ces plaines ; cet état de liberté n’est rien autre qu’une domesticité réglementée suivant les nécessités du pays.

Lorsque l’on part en voyage, on forme une tropilla de chevaux de relais pris dans une ou plusieurs manadas ; la jument, clochette au cou et, suivie de son poulain, est nécessairement de la partie ; c’est elle qui dirige la troupe. Ces voyages sont pittoresques et fort rapides. La tropilla, fouaillée en avant, prend un trot accéléré, les chevaux montés tendent à la rejoindre et ne perdent pas le galop ; de deux heures en deux heures, on prend des chevaux frais et l’on repart. Les voyages en voiture se font de même. En ce cas, la tropilla est nécessairement beaucoup plus nombreuse ; il n’était pas rare de voir encore, il y a trois ou quatre ans, une voiture en route