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citer à l’appui mille exemples, c’est ainsi qu’en Italie le mot inconnu d’exportation est devenu une réalité et une source de prospérité depuis que les Lombards et les Napolitains s’expatrient par milliers pour revenir sans exception jouir chez eux du bien-être acquis ailleurs. Prenons un exemple en France facile à contrôler.

De 1852 à 1860, à peine y avait-il quelques Français à Buenos-Ayres, l’exportation des vins de Bordeaux pour tout le bassin de la Plata n’atteignait pas en 1855 500 barriques par an ; on ne consommait alors que les gros vins de Barcelone, que les Espagnols y avaient dès longtemps fait connaître. Vers-1860, la création d’une ligne de vapeurs de Bordeaux à Buenos-Ayres fut le signal d’un commencement d’émigration vers la Plata, qui s’accentua sérieusement vers 1866. En 1872, la colonie française de la province de Buenos-Ayres ne dépassait pas 50,000 individus, l’exportation des vins de Bordeaux pour la Plata atteignit jusqu’à 28,000 barriques dans un mois et ne descendit dans aucun au-dessous de 15,000 ou 18,000. Niera-t-on que ces quelques milliers de Français aient plus fait pour développer notre richesse nationale en la faisant connaître que 500,000 pris au hasard qui sont restés chez eux ? N’ont-ils pas, dans une mesure considérable, développé en France la production en répandant au dehors l’exemple de leurs habitudes ? Ce qui est si sensible dans le monde matériel ne l’est pas moins dans l’ordre moral et intellectuel : nos livres, nos journaux, notre littérature sont surtout répandus au dehors par ceux qui émigrent et inspirent à tous les étrangers le désir de connaître un pays où tout se sait et s’enseigne ; c’est ce qui amène chez nous avec les nombreux étrangers un élément nouveau de richesse.

Il est certain qu’un temps viendra où les gouvernemens des pays neufs n’auront plus à répandre des primes et à entretenir des agens, et verront l’émigration aussi protégée par les gouvernemens européens qu’elle est aujourd’hui entravée, un temps où cette erreur économique ira rejoindre le vieux système espagnol, jaloux, prohibitif à l’excès et en même temps ruineux, qui, en fermant l’accès des colonies aux peuples étrangers, en ajournait le développement sans profit pour personne. L’Angleterre a depuis longtemps adopté le système contraire, et en a prouvé pratiquement la valeur par le profit qu’en ont tiré ses-banques et son industrie. Peu à peu tous les gouvernemens suivront cet exemple ; alors peut-être aurons-nous rendu un service en faisant connaître une des industries où l’activité humaine peut trouver le plus utilement son emploi.


EMILE DAIREAUX.