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les conditions auxquelles il consentira à soutenir le ministère. La réponse à ces propositions se laisse un peu attendre, et l’homme puissant écrit sur un ton assez piqué. Alors Greville se rend en toute hâte à la cour de l’échiquier, où siégeait le nouveau chancelier, qui se prend à son tour d’inquiétude et se précipite au ministère de l’intérieur pour en causer avec le duc, « tant est grande et dangereuse l’influence du potentat armé des foudres de la presse ! » Il fallut s’excuser en lui avouant qu’on ne pouvait rien décider avant l’arrivée de Peel. Puis lord Lyndhurst l’invite à dîner, car « une ratification gastronomique doit préparer le traité entre les parties contractantes, » ajoute Greville, qui nous apprend qu’à ce dîner « assez drôle, » et qui fit alors grand bruit dans le public, on a convoqué les hommes les plus considérables du parti.

Ces avances ne suffirent pas pour consolider une administration qui croula bientôt malgré l’habileté déployée par Peel, et les whigs rentrèrent au pouvoir. Le nouveau cabinet fut encore cette fois formé par lord Melbourne, et l’un des membres les plus actifs de ce cabinet était lord John Russell, celui de tous les ministres que Guillaume IV détestait le plus. Pressé de donner le dîner royal qui est de fondation au jour des courses d’Ascott, le roi s’y refusa obstinément en disant : « Je ne puis le faire sans inviter les ministres, et j’aimerais mieux voir le diable dans ma maison qu’aucun de ces gens-là à ma table, » Brougham, qui s’était compromis de différentes manières et ne pouvait plus inspirer de confiance à personne, avait été laissé à l’écart ; pour ne pas s’en faire un ennemi, on ne donna pas toutefois sa place, et les sceaux furent mis en commission.

Fort versé dans les secrets de la stratégie parlementaire, Greville donné des renseignemens précis sur les habitudes sociales des membres qui composaient alors les deux camps opposés, et ce détail tout pratique explique jusqu’à un certain point à quelle cause particulière il faut trop souvent attribuer le succès ou la chute d’un ministère.


« Le parti de Peel comprenait un grand nombre de gens riches et fashionables continuellement attirés au dehors pour une raison ou pour une autre, passant presque tout leur temps au club ou dans les salons du West-End, de manière qu’il fut presque impossible, à un moment donné, de rallier ces forces dispersées. L’opposition au contraire est composée d’un corps compacte de gens que rien n’appelle hors de la chambre des communes, qui nichent dans le voisinage, prennent leurs repas dans quelque taverne tout proche ou ne dînent pas du tout. Toujours rendus de bonne heure à leurs bancs, ils ne songent pas à bouger avant la fin des séances et forment une base solide, inébranlable, à laquelle, dans l’état présent de l’assemblée, la plus légère