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que je suis le roi… » Il a terminé sa harangue par une allusion à la princesse et -à son règne prochain, et cela d’un ton paternel et affectueux parfait sous tous les rapports. Cette terrible philippique (j’en ai oublié les plus fortes parties) avait été prononcée avec énergie et d’une voix retentissante. La reine paraissait en souffrir ; la princesse Victoria fondait en larmes, la compagnie restait frappée de stupeur. La duchesse de Kent ne répondit pas un mot. Immédiatement après, on se leva de table ; il s’ensuivit une scène violente, et la duchesse, annonçant qu’elle allait partir à l’instant, ordonna d’atteler. Cependant une sorte de réconciliation fut bâclée, et elle consentit à rester jusqu’au lendemain. »


Il est évident qu’il y avait eu des torts réciproques de la part des membres de la famille royale. La scène ayant été presque publique avait eu un retentissement qui permettait à Greville de l’insérer dans ses mémoires comme un de ces incidens qui appartiennent à l’histoire. Il révèle d’ailleurs l’isolement où l’on a, jusqu’au jour de son avènement, maintenu de parti-pris la future reine. Lorsque peu de temps après une maladie sérieuse de Guillaume IV fit prévoir l’approche d’un nouveau règne, Greville nous montre le public plus que jamais préoccupé des incertitudes de l’avenir. « Ce qui donne lieu à toutes les suppositions, dit-il, c’est l’ignorance absolue de tout le monde, sans exception, touchant les dispositions et les facultés de la jeune princesse… Les tories sont consternés de la mort prochaine du roi en songeant aux conséquences qu’elle peut amener ; mais il n’arrivera rien, parce que dans ce pays il n’arrive jamais rien. »

Au mois de janvier 1837, Greville avait fait à Paris un séjour de quelques semaines, et comme à son ordinaire il a consigné dans son journal l’impression que notre pays, ses institutions, sa société, ont produite sur lui. Il a assisté aux bals des Tuileries, « en comparaison desquels, dit-il, nos fêtes ont un air très mesquin. » Il a été bien reçu par la famille royale ; le roi lui paraît excessivement poli, la reine remplie de grâce et de dignité, Madame Adélaïde est une très bonne personne, le duc d’Orléans a des manières de prince. C’est chez la princesse de Lieven, fixée à Paris, qu’il fait la rencontre de la plupart des hommes distingués que le gouvernement de juillet avait mis en évidence.


« Le salon de Mme de Lieven était un terrain neutre où se rapprochaient les hommes de tous les partis… Il convient apparemment à la cour de Saint-Pétersbourg qu’elle conserve ici cette situation, parce qu’une femme d’esprit comme elle peut ainsi recueillir nombre de documens intéressans et peut-être utiles. Moins exposée ici à l’action des préjugés et des passions qui ont si fort compliqué et troublé la position qu’elle avait en Angleterre, elle peut s’y former une idée plus juste du