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contemporains ont tous été d’accord pour lui reconnaître une véritable aptitude aux négociations délicates par la connaissance qu’il avait des hommes et par l’intelligence des affaires, acquises durant le cours d’une longue carrière passée dans la société des hommes les plus distingués de sa génération. Il a en outre fait preuve d’un savoir spécial dans un ouvrage publié en 1845 sous ce titre : De la Politique passée et présente de l’Angleterre à l’égard de l’Irlande. Au dire du critique qui s’est montré d’ailleurs si sévère pour Greville, ce travail anonyme lui donne « tous les droits possibles pour faire autorité soit comme penseur, soit comme écrivain politique. »

Ce qu’il y a de plus intéressant dans la lecture des mémoires intimes de Ch. Greville, ce n’est pas seulement le récit détaillé d’événemens qui sont encore présens à la mémoire, c’est plutôt ce coup d’œil pénétrant jeté sur les côtés demeurés obscurs ou inconnus des incidens survenus au jour le jour ; c’est encore l’action animée et toute vivante prêtée aux personnages que l’auteur met en scène, les allées et venues de tous ces grands acteurs et des moindres comparses, le mouvement de la conversation, la mise en relief saisissante de cette agitation perpétuelle et le plus souvent stérile qui constitue, somme toute, la vie de la société. Quant aux notes qu’il a écrites pendant la chaleur de l’action, elles réfléchissent, pour ainsi parler, le ton, l’esprit, le langage des cercles officiels dans lesquels se mouvait Greville ; elles donnent la mesure de cette activité raisonnée et incessante qui semble posséder les Anglais appelés à prendre part aux affaires publiques de leur temps. En les voyant à l’œuvre dans le journal de Greville, en suivant de près leurs démarches plus ou moins heureuses, où le bien et le mal sont étrangement mêlés, il est difficile de n’en pas conclure qu’une nation est bien forte quand elle résiste à tant de tiraillemens en sens contraires, et qu’une société est bien solidement établie quand elle reprend si aisément son équilibre après des crises faites pour l’ébranler jusqu’en ses derniers fondemens. L’Angleterre, plus heureuse que nous, a trouvé cette force dans le respect de, ses vieilles institutions. Si connue que soit cette vérité, les mémoires de Greville la confirment encore, car ils font pleinement ressortir comment, dans ce pays essentiellement monarchique, ni le choc des partis, ni le discrédit où peuvent momentanément tomber les personnes royales, ni les libres jugemens portés sur leur compte, ni la guerre acharnée faite aux dépositaires, quels qu’ils soient, de l’autorité, n’arrivent jamais à ébranler les principes sur lesquels repose depuis tant de siècles la sécurité de cette grande et puissante nation.


C. Du PARQUET.