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d’ébénisterie, travailler le fer, tresser de délicats objets en paille. Ceux-là sont les descendans des peuples qui fondèrent l’antique civilisation du Pérou. Quittant Manaos pour atteindre Teffé, le Solimoens présente un autre aspect que le cours inférieur de l’Amazone ; la végétation n’a plus le même caractère, par endroits les berges sont hautes et abruptes, puis se montrent les plages sablonneuses où les tortues et les alligators viennent déposer leurs œufs. A Teffé, Agassiz fit une découverte à la fois singulière et saisissante, celle d’un petit poisson ayant la bouche pleine de ses petits en voie de développement. Par un procédé qui n’a pu être reconnu, les œufs passent dans la bouche de l’animal entre les appendices des arcs, branchiaux ; les petits éclosent et demeurent dans cette étrange prison jusqu’au jour où ils deviennent capables de faire usage de la liberté[1]. Si l’on en croit les Indiens, diverses espèces de la même famille pondent dans le sable, se tiennent près du nid et ensuite ingurgitent les jeunes afin de les tenir à l’abri des dangers.

Le célèbre naturaliste poursuivit l’exploration dû Haut-Amazone jusqu’à Tabatinga, la ville frontière entre le Brésil et le Pérou. Au retour, il fit encore de nombreuses stations, ne se lassant pas de voir des pêches miraculeuses. Aux environs de Teffé, un petit lac situé dans les bois fournit un type remarquable par les affinités qu’il présente avec des poissons marins. Près de Manaos, une excursion au lac Hyanuary, sur la rive occidentale du Rio-Negro, offrit tous les agrémens imaginables. Le caractère des sites, les passages en canot dans les rigoles courant sous la feuillée, l’abondance des oiseaux rivalisant de parures, les nouveautés de la population aquatique, les mœurs indiennes, captivèrent au plus haut degré les scrutateurs de la nature.

Agassiz, qui avait abandonné son foyer afin de prendre un repos nécessaire, travaillait avec opiniâtreté, ne laissant aucun répit à son dessinateur. Il visita le rio Remos et d’autres affluens du grand fleuve, le lago Maximo non loin de Santarem, où s’étalent à la surface des eaux des plantes superbes ou charmantes et comme une reine du monde végétal, la magnifique Victoria regia. De retour à Para le 5 février 1866, un mois encore il continua ses recherches sur l’histoire naturelle de la contrée. Il partit, profondément touché du précieux concours et des témoignages de sympathie que lui avaient prodigués les Brésiliens, pénétré de reconnaissance pour le souverain qui l’avait comblé d’attentions. Il emportait les matériaux d’études trop longues pour la vie d’un homme.

Pendant cette campagne de plus de sept mois dans la vallée de

  1. Agassiz a nommé ce singulier poisson Geophagus Pedroïnus, — il est dédié à l’empereur dom Pedro II.