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et pure, une petite baie jolie au possible, et tout près de cette baie s’élèvent la maison d’habitation et des bâtimens qui offriront toutes les commodités pour le travail. Nulle localité ne pouvait présenter plus d’avantages pour suivre des observations, pour instituer des expériences, pour fonder une école où, loin du bruit, des jeunes gens studieux viendraient pendant la belle saison se familiariser avec la connaissance des admirables populations de la mer. Agassiz éprouva un grand bonheur à se trouver en situation de faire un établissement scientifique encore sans pareil dans le monde ; il se rendit dans l’île Penikese avec une cinquantaine d’étudians ou d’amateurs, et déploya, selon son habitude, toute l’ardeur imaginable à préparer les installations, à choisir les sujets des recherches. C’était à l’automne de l’année 1872, au temps où d’ordinaire il prenait quelque répit. Lorsqu’il revint à Cambridge, sa santé se trouva profondément atteinte ; cependant il ne voulait point croire sa tâche achevée. Lui qui avait tant lutté pour découvrir la vérité à l’égard des phénomènes de la nature se sentait incapable de se résigner à voir répandre des erreurs préjudiciables à la science. Avant de mourir, il tint à proclamer, en s’appuyant de preuves décisives, l’inanité complète des vues théoriques sur les prétendues transformations indéfinies des êtres[1]. Louis Agassiz expirait le 14 décembre 1873. Le 26 février 1872, l’Académie des Sciences de l’Institut de France l’avait élu associé étranger ; c’est le plus bel hommage qu’elle puisse rendre à un savant, c’est le titre qu’elle n’accorde qu’aux plus illustres.

Au milieu d’un grand concours de citoyens, où figuraient le vice-président des États-Unis et le gouverneur de l’état de Massachusetts, les funérailles de l’ancien professeur de Neuchatel eurent lieu dans la chapelle du collège Harvard avec la simplicité dont la vie de l’homme avait été l’image. Quelques jours plus tard, les membres du collège prenaient avec solennité des résolutions afin d’honorer la mémoire du défunt, et sur les édifices publics le pavillon de l’Union américaine était arboré à mi-mât en signe de deuil national.

Par ses découvertes, par ses investigations originales, Louis Agassiz a puissamment contribué aux progrès de la science. Les études sur les glaciers, les recherches sur les poissons fossiles et sur les faunes anciennes, resteront longtemps les guides des scrutateurs de la nature. Si ces œuvres viennent à être dépassées par des œuvres ou plus parfaites ou plus complètes, elles demeureront encore à tous les yeux des monumens du génie de l’homme. A côté

  1. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1874, les Origines des êtres.