Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/598

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus que tout autre peuple, car le communisme prospère entre leurs mains d’une façon toute particulière. Nous les retrouvons à Zoar, dans le comté de Tuscarawas, Ohio, sous le nom de séparatistes. Ils ont bâti leur première cabane en 1817 sous les ordres de Joseph Bäumeler, qu’ils avaient choisi pour chef après douze ans de persécution au Wurtemberg, où ils se refusaient à servir comme soldats et à envoyer leurs enfans aux écoles contrôlées par le clergé.

Leur misère était telle en arrivant qu’ils durent pour vivre servir dans les fermes du voisinage ; mais de faibles ressources réunies deviennent vite une force. — Jamais, dit un vieillard à M. Nordhoff, nous n’eussions pu payer notre terre, si nous n’avions formé une communauté. — D’abord ennemis du mariage, les séparatistes le tolèrent sans l’approuver depuis 1828 ou 1830. Ils occupent maintenant plus de sept mille acres d’un pays fertile, outre des terres qu’ils ont dans l’Iowa, mènent à bien nombre d’industries, possèdent en résumé plus d’un million de dollars, quoiqu’ils ne soient que trois cents membres mystiques, inoffensifs et fervens, ennemis de toutes cérémonies, qu’ils considèrent comme idolâtres quand elles ne s’adressent pas à Dieu. Ils ne se découvrent point la tête, tutoient tout le monde, n’admettent que le prénom, qu’on ne peut appeler nom de baptême, puisque les sacremens ne sont pas en usage chez eux, n’acceptent aucune constitution ecclésiastique, se marient sans l’intervention d’un prêtre et toujours entre membres de la communauté, sous peine d’expulsion, n’ont point de prédicateurs, et, tout en se réunissant trois fois le dimanche pour chanter et pour lire, ne prient jamais publiquement ni à haute voix. Leur principal administrateur, Jacob Ackermann, les dirige depuis plus de trente ans au point de vue temporel, et il est merveilleux de voir à quel résultat des gens pauvres et vulgaires sont parvenus avec de si faibles moyens. Zoar ne se distingue point par la minutieuse propreté des villages de trembleurs ; on y sent l’absence absolue d’idéal élevé, mais une prospérité matérielle en rapport avec les goûts humbles et restreints des citoyens qui l’habitent.

Peut-être le secret du succès des Allemands dans les entreprises communistes tient-il à leurs aspirations bornées, à leur ignorance de tout ce qui est élégant et raffiné, à la grossièreté de leurs appétits, aisément satisfaits et plus faciles à contrôler que les besoins complexes des autres peuples. Sauf Économie, il n’est pas une communauté allemande qui ait la moindre prétention à cette beauté relative qui résulte de l’ordre et de la symétrie ; il faut accorder d’ailleurs aux Dutch, comme on les appelle dans le pays, un grand empressement à subordonner la volonté individuelle au bien général. Leurs communes jumelles d’Aurora et de Bethel, l’une dans l’Oregon, l’autre dans le Missouri, ont surabondamment prouvé cette