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mais non de voter ; les familles sont peu nombreuses. Le résultat de cet ordre de choses est visible : des chemins mal tenus, des cabanes sordides, au milieu desquelles commencent à se dresser cependant quelques maisons pauvres, des sabots, des repas mal servis dans la salle commune. Les plus mauvais jours sont passés sans doute pour les icariens ; quelques enthousiastes leur prédisent même un avenir prospère, mais leur colonie n’en reste pas moins quant à présent la dernière des sociétés communistes.

Les dettes, l’esprit de spéculation et l’absence d’une autorité centrale absolument respectée ont amené aussi dans l’Illinois la chute de la commune suédoise de Bisbop Hill, qui s’appuyait d’ailleurs sur des principes religieux très fermes. De 1846 à 1862, ses membres prospérèrent, triomphant de la fièvre des prairies, remplaçant peu à peu les tentes et les cabanes par de bonnes constructions de brique, défrichant, construisant des ponts, élevant le plus beau bétail de l’état. Ils furent un instant au nombre de mille. Vers 1859, la jeunesse perdit de vue le but religieux et demanda plus de distractions, une discipline moins sévère ; comme il y avait des dettes, une complète désorganisation s’ensuivit. Les seules sociétés communistes vraiment fortes sont celles qui, évitant le crédit, vivent au point de vue financier comme si elles devaient se disperser d’un jour à l’autre. Aucune peut-être n’a réussi commercialement comme celle des perfectionnistes.

Cette société, dite du libre amour, est bien connue déjà en Europe, grâce au soin insolite qu’elle met à rendre publics par l’entremise de la presse ses actes et ses tendances, grâce surtout peut-être à certaines particularités scandaleuses qui piquent la curiosité en rappelant les mœurs mormonnes et la Cité du soleil de Campanella. Dans le partage égal de tous les biens de ce monde, les perfectionnistes ne se sont pas même réservé la famille ; femmes et enfans sont en commun, avec des restrictions toutefois qui empêchent cette règle d’être aussi favorable au sensualisme qu’on pourrait le supposer d’abord. Le mariage complexe, où se combinent avec une audace sans précédent la polygamie et la polyandrie, autorise tout homme et toute femme faisant partie de la société à cohabiter librement après avoir obtenu le consentement l’un de l’autre non pas dans des entretiens particuliers, mais par l’intervention d’un tiers. L’attachement exclusif de deux personnes serait considéré comme idolâtrie et rompu au moyen de la critique, qui remplace chez les perfectionnistes la confession et l’enquête, jugées nécessaires par toutes les autres sectes pour s’assurer de l’état spirituel de leurs membres. M. Nordhoff put assister à l’une de ces scènes de critique. Un jeune homme prit place sur la sellette, M. Noyés, le chef de la communauté, étant présent,