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I

Rien n’a manqué en France pour donner au problème des chemins de fer la solution la plus rationnelle et la plus heureuse. Il n’était pas conforme à son génie d’abandonner entièrement cette solution au jeu anarchique des intérêts privés. Le système qui devait triompher ne sortit pas tout entier d’un seul cerveau. Il se développa en quelque sorte organiquement sous la pression des circonstances, à travers les tâtonnemens, les hésitations, les doutes. Une idée heureusement domina toujours les esprits, celle du droit régalien de l’état ; jamais ni les chambres, ni le conseil d’état, ni les gouvernemens, ne se montrèrent disposés à en faire le sacrifice. Notre réseau représente déjà une valeur de près de 10 milliards ; heureux le ministre des finances qui, profitant de la durée limitée des concessions, pourra un jour puiser à pleines mains dans ce magnifique fonds d’amortissement[1] !

Les débuts pénibles de notre industrie des chemins de fer ont été souvent racontés. Deux classes d’hommes s’associèrent pour commencer notre réseau, des financiers entreprenans, des ingénieurs séduits par l’idée d’une grande œuvre. L’état concéda au début quelques petites lignes à titre perpétuel, mais se hâta de prendre pour règle les concessions temporaires. L’idée du grand réseau convergent sur Paris ne surgit qu’en 1837, et pour la première fois, quand le gouvernement proposa aux chambres les projets relatifs à la concession des lignes de Paris en Belgique, de Paris à Tours, de Paris à Rouen et au Havre, et de Lyon à Marseille, on comprit la nécessité de définir le rôle de l’état et celui des compagnies dans la grande entreprise des chemins de fer.

La chambre, après de longues hésitations, se décida à repousser le principe de l’exécution par l’état et donna des concessions à des compagnies : celles-ci firent appel au public ; mais le public, encore timide, méfiant de ses forces, ne leur donna point l’appui patient, tenace, courageux, qui leur était nécessaire. Ne le blâmons pas trop : aujourd’hui même, ce n’est que par l’alliance heureuse de toutes les forces de l’état et des intérêts individuels qu’on peut continuer l’ouvrage qui alors ne faisait que de commencer. On vit les premières compagnies, effrayées de leurs charges, renoncer à leurs concessions ou en demander la restriction.

Le gouvernement donna courage aux capitaux, il accorda en 1840

  1. Le 31 octobre 1874, il y avait 19,035 kilomètres exploités en France sur 23, 755 concédés.