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Je ne sais ce qu’eût dit Alceste de la chute, mais Bélise eût pâmé d’aise. Pour nous, et nous souhaiterions que M. Bourget, puisqu’il est d’âge à souffrir la critique, en acceptât l’avertissement, petits dessins très compliqués, légères aquarelles, colifichets d’éventail, ce sont là de ces essais qu’il faut peut-être qu’on fasse pour se rompre la main, pour s’instruire à la pratique des secrets du métier, surprendre le fin de son art, mais dont il n’est pas bon de faire confidence au public. On ne prend pas garde en effet que le résultat le plus certain du labeur qu’on dépense à ces minces bagatelles, — sans compter qu’elles déshabituent de l’effort viril de penser, — est d’accuser plus évidemment le défaut de composition des ensembles, car plus finement est sertie chacune de ces petites pièces, plus indépendante nécessairement elle se détache de celle qui précède et de celle qui suit, plus brusque est le passage de l’une à l’autre, et partant plus indécise l’impression générale qu’on reçoit du volume ; mais c’est bien le moindre souci de l’art contemporain que de poser des ensembles.

Il ne faut pas chercher d’explication plus lointaine à cette dispersion d’intérêt et à cette absence d’unité dans la composition qu’on remarque dès qu’on ouvre un recueil de poésies du jour, dès qu’on en lit seulement le titre. Autrefois, à défaut d’un nom qui résumât le volume tout entier, il semble que, quand le poète écrivait à la première page les Orientales ou les Contes d’Espagne et d’Italie, on prît au moins une idée générale de ce qu’il avait voulu faire et de la note dominante de son inspiration : aujourd’hui ce sont les Vaines Tendresses ou le Cahier rouge. On parcourt la table des matières, on y lit : Les Fils, sonnet, — fort beau sonnet d’ailleurs sur ceux qu’accable de son éclat la gloire de leurs aïeux, — puis aussitôt le Conscrit, histoire d’un chien savant qui faisait l’exercice à la barrière de l’Étoile. Il faut aller ainsi jusqu’au bout, à l’aventure, où il plaît à la fantaisie désordonnée du poète de promener son lecteur. Il y a plus, prenons ces deux strophes :

L’automne ! l’automne ! les routes
Sont désertes sous l’air glacé,
Et les feuilles s’amassent toutes
Dans les profondeurs du fossé !
L’automne ! l’automne ! les haies
Et les arbres sont effeuillés,
A peine quelques rouges baies
Tremblent aux buissons dépouillés[1].


Les vers sont agréables, mais je défie le plus expert de décider laquelle des deux strophes doit marcher la première. Ce sont là toujours autant de cahiers rouges qui traîneraient négligemment, et sur lesquels, au jour le jour, à ses heures perdues, on se délasserait des soucis de la

  1. Paul Bourget, la Vie inquiète.