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REVUE. — CHRONIQUE.

vement, et on a pu croire que tout allait s’apaiser. Il n’en a rien été, l’insurrection au contraire n’a fait que s’étendre, se développer, et aujourd’hui elle semble recevoir des secours du Monténégro, comme de la Serbie, comme de la Croatie. C’est là ce qu’il y a de grave en effet. Par sa position entre le Monténégro, la Bosnie, la Serbie et la Croatie autrichienne, l’Herzégovine peut ne point rester un foyer isolé. La cause des insurgés est la cause de tous les Slaves du sud du Danube ; pour tous, l’ennemi à combattre est toujours le même, c’est le Turc, et les gouvernemens du Monténégro, de la Serbie, peuvent avoir de la peine à contenir leurs populations inflammables.

Il y a quelque chose de mieux : l’Herzégovine a autrefois appartenu à l’ancien royaume de Croatie, elle a gardé ce souvenir vivant, et aujourd’hui les insurgés invoquent l’empereur d’Autriche comme leur roi, comme le protecteur naturel de leur indépendance reconquise ; ils semblent avoir pour mot d’ordre le retour à l’ancien royaume croate. De tout cela peuvent naître certainement des complications, surtout si la Turquie prétendait contraindre la Serbie, le Monténégro à réprimer toutes les complicités que les insurgés peuvent rencontrer dans ces pays. Des mesures coercitives ou des menaces de la Porte ottomane contre le Monténégro ou la Serbie susciteraient indubitablement de sérieuses difficultés européennes. On n’en est pas là pour le moment, les conseils de modération ne manqueront pas à Constantinople, et il est bien certain que de son côté l’Autriche n’est nullement disposée à favoriser l’insurrection de l’Herzégovine ; elle a envoyé au contraire des forces sur sa frontière pour empêcher la propagation de l’incendie. Il y a bien des raisons pour que l’Autriche ne se prête en aucune façon, ni directement ni indirectement, à ces agitations slaves. D’abord elle n’est point intéressée à voir surgir des complications qui pourraient remettre tout en question dans ces contrées de l’Orient, où elle a autant de périls à courir que d’avantages à espérer. De plus le premier ministre de l’empereur François-Joseph est un Hongrois, et ce n’est pas le comte Andrassy qui favoriserait au sud du Danube des mouvemens dont le premier résultat serait d’exalter le patriotisme croate, de rompre le lien par lequel la Croatie reste jusqu’ici rattachée à la Hongrie. Tout se réunit donc pour que les insurgés de l’Herzégovine restent livrés à leurs propres forces, pour que cette insurrection nouvelle ne soit qu’une de ces explosions périodiques qui laissent depuis longtemps une traînée de sang et de feu dans l’histoire de l’Orient.

CH. DE MAZADE.