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difficiles l’avantage d’être partout et toujours un artiste, et je recommande à ceux qui voudraient s’en convaincre d’étudier le chapitre Harmonie et Mélopée, où sont exposés les élémens constitutifs de la musique des anciens depuis le son jusqu’à la mélodie. Notre musique ayant pour intervalles fondamentaux les tons et les demi-tons, ce fut longtemps une question controversée de savoir si les Grecs n’avaient pas des intervalles moindres ; la théorie de M. Gevaert ne permet aucun doute à cet endroit, et nous apprenons par lui la manière dont ils se servaient de ces quarts de ton considérés par les uns comme une sorte de mystification, par les autres comme un reste de barbarie. Il nous explique, disons mieux, il nous révèle la nature et l’origine du genre enharmonique, où il est fait usage d’intervalles plus petits que le demi-ton, et nous démontre comment ce genre a pu être considéré par Aristoxène comme le plus parfait. On sait aussi que la musique moderne ne comprend que deux modes, le majeur et le mineur ; la théorie des modes anciens, beaucoup plus nombreux que les nôtres, retrouvée par Westphal, emprunte à la définition de M. Gevaert une autorité toute nouvelle, et son analyse comparée des vieux chants nationaux et liturgiques la fait passer du domaine de l’hypothèse dans celui de la science : nous savons, grâce à lui, ce qu’étaient ces harmonies dont nous entretiennent si souvent Plutarque et les poètes de la Grèce et de Rome. Citerai-je la partie historique traitée en maître et dans un style ignoré la plupart du temps des musiciens ? Il y a tel chapitre sur l’enseignement musical dans l’antiquité qu’il faudrait pouvoir reproduire tout entier. Le poète grec était également compositeur de musique dans l’acception la plus large du mot, lui-même inventait les mélodies et l’accompagnement instrumental, destinés à l’exécution publique de son œuvre poétique ; l’épopée, chantée au temps d’Homère, l’était encore à l’époque historique. Hésiode fut exclu du concours pythique, parce qu’il n’avait point appris à accompagner le chant par la cithare. L’union personnelle du poète et du musicien tend à se dissoudre seulement vers la fin de l’âge classique. On reprochait à Euripide de faire composer la musique de ses drames par Iophon, le fils de Sophocle, et poète tragique lui-même, et par Timocrate d’Argos ; mais jusqu’aux derniers jours de l’art grec les faits de ce genre restent à peu près isolés. Tyrtée, Alcée, Simonide, Pindare, Eschyle, furent tenus par leurs contemporains pour des compositeurs de premier ordre. L’importance qu’ils attachaient à la partie musicale de leur œuvre nous est attestée dans maint passage où ils mentionnent le mode et l’instrumentation employés dans le morceau. Le vieil Archiloque invente un accompagnement différent de la partie mélodique, Sappho découvre le mode mixolydien, Lasos perfectionne la polyphonie des flûtes ; Sophocle introduit le mode phrygien dans les airs de la tragédie, le poète dramatique Agathon fait usage le premier