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le fait brutal, un dramaturge vulgaire n’en eût pas demandé davantage ; Alfred de Vigny hésita ou plutôt il s’abstint, et les mémoires de Moschelès nous montrent aujourd’hui qu’il fit bien.

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L’Unité des forces physiques, essai de philosophie naturelle,
par le père A. Secchi, Paris 1874.


Les corps, disait le savant Boscovich, peuvent être comparés à des édifices qui contiennent des bibliothèques remplies de livres imprimés en caractères extrêmement variés, traitant des sujets les plus divers, et dont les lettres seraient faites avec une infinité de points tellement petits que les plus puissans microscopes permettraient à peine de les distinguer. Même de nos jours la science n’a pas la prétention de lire ces livres, encore moins d’en scruter chaque lettre, tout au plus aspire-t-elle à distinguer un volume des autres. Néanmoins on peut constater que depuis vingt ans, — depuis que la théorie mécanique de la chaleur est entrée pour ainsi dire dans les veines et dans le sang de la science, — un souffle nouveau règne dans les recherches qui ont pour objet les forces naturelles. Après avoir longtemps accumulé des matériaux, on sent que le temps est venu de bâtir, et qu’il est permis dès à présent de tenter la synthèse des phénomènes multiples et complexes que nous offre le monde inanimé. Coordonner le nombre immense de faits désormais acquis, en montrer les liaisons naturelles, en chercher le principe commun, voilà certes une tâche digne des efforts du physicien et du géomètre, et une tâche qui n’est plus hors de portée, si nous en jugeons par le succès des tentatives qui ont été déjà faites dans cette direction. Celle du savant directeur de l’observatoire de Rome mérite d’être citée au premier rang. Le P. Secchi embrasse dans son travail toutes les forces connues, et il les explique toutes par des modes de mouvement de la matière pondérable ou du fluide éthéré. La mécanique moléculaire est donc aujourd’hui dans l’état où se trouvait la mécanique céleste au temps de Kepler : nous connaissons les lois particulières des divers mouvemens qui sont la cause prochaine des phénomènes accessibles à l’observation ; il reste à découvrir la loi générale qui comprend ces lois particulières, qui en renferme le principe, comme la loi de la gravitation universelle embrasse les mouvemens planétaires, la chute des corps, les oscillations du pendule, etc. En attendant que cette révélation vienne dissiper les ombres qui enveloppent encore l’origine et la nature des forces physiques, ce que l’on peut déjà entrevoir à cette heure est immense auprès de ce qu’on savait il y a trente ans, et chaque jour apporte une preuve nouvelle de la fécondité de cette grande idée, que tout dans la nature se réduit au mouvement.

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Le directeur-gérant, C. Buloz.